Image en bandeau : En route vers Opitciwan | Photo : Jean Gagné
À leur arrivée au mois d’août dernier, les deux nouveaux responsables en charge de la Mission Saint-Étienne à Opitciwan apprivoisent sans tarder les lieux. Et ce n’est pas long non plus avant que les membres de la communauté se manifestent pour faire connaissance, demander des infos et les intégrer aux aléas de leur vie quotidienne. Jamais rien de compliqué. La vie surgit de partout.

Dans ce texte, nous utilisons le pronom « nous », car nous sommes bien deux personnes à l’écrire : Alain Bilodeau et Jocelyne Guénard. En août dernier, nous avons tous deux été nommés « responsables de la charge pastorale de la Mission Saint-Étienne d’Opitciwan » par l’évêque du diocèse de Chicoutimi, Mgr René Guay.
Le jour de notre arrivée en août 2022, il fait beau. Nous avons fait un long chemin d’environ 300 kilomètres, dont presque la moitié sur une route de gravier qui nous est inconnue. Nous sommes quelque peu anxieux, car nous ne voulons pas nous perdre… Le temps passe vite… et nous nous trouvons maintenant devant l’église d’Opitciwan. Le bâtiment en bois est recouvert de tôle ondulée et sa toiture est composée de bardeaux qui frisent un peu, mais… il fait beau, le réservoir Gouin, tout proche, est magnifique et, comme on dit, c’est la première impression qui compte !

On entre au presbytère, ce petit bâtiment dont les murs sont ornés d’images religieuses, de bibliothèques remplies de volumes, de dépliants, de traités religieux. Ça sent la douceur de l’enseignement des Oblats et de Claude Bossé, le dernier prêtre séculier qui vient de partir. On est en plein dans l’aventure. L’environnement est campé… Les gens, maintenant.
Un coup de téléphone : un certain Jeannot s’informe de notre arrivée. Il vient nous voir. La première heure n’est pas encore terminée qu’une dame appelle pour vérifier s’il y a une messe en fin de semaine. « Non, je suis diacre, et c’est avec la Parole que nous communierons à Jésus ». Durant la semaine, c’est Francine qui se présente, c’est William, c’est Diane, c’est Cécile-Lucie… Toc, toc, toc! quatre ou cinq enfants sont à la porte et veulent un verre d’eau. Il faut dire qu’il y a un parc de jeux non loin du presbytère, et c’est comme une tradition pour les enfants de venir se rafraîchir ici avec un verre d’eau.
Mais où est l’épicerie, le conseil de bande, la quincaillerie ?
Nous explorons les lieux, les gens nous saluent. On répond souvent à notre kwei par un bonjour, et vice versa. Tout le monde est gentil, accueillant, souriant. Oups ! quelqu’un nous interpelle de son auto sur la rue : « C’est toi, le diacre ? – Oui… – J’ai demandé à l’abbé Claude pour me marier, vas-tu pouvoir le faire ? – Oui ! passe nous voir. » Pas plus compliqué que cela.
On commence déjà à se sentir utiles. Certaines personnes veulent faire baptiser leur enfant; la pandémie a mis un frein à cette habitude, et on veut se rattraper. Mais comment baptiser ici? Vous allez nous dire : « C’est facile ! Il y a un rituel pour cela. » Mais chaque communauté a ses traditions qui entourent les rites. Heureusement, il y a une équipe de bénévoles qui peut nous aider. Les bénévoles sont très présents dans toutes les cérémonies, que ce soit pour les baptêmes, les funérailles ou les célébrations de la Parole. Des gens dévoués. De bons chanteurs et chanteuses, animateurs et animatrices…

Une communauté immensément belle… et fragile. La fierté d’être Atikamekw manque trop souvent chez les jeunes d’Opitciwan, le désœuvrement fait ses ravages, les addictions aussi. Les itinérants commencent à être présents. Le suicide est un événement vécu par bien des familles. Il manque de logements, les familles sont nombreuses. La promiscuité est omniprésente. Mais…
Mais la vie est présente. Partout.
Des dizaines d’enfants pleins de potentiel jouent dans les rues. Une partie de la population communique en français, mais la langue de base est l’atikamekw, qui est parlée dans la famille et la communauté. Les jeunes apprennent le français à l’école primaire, langue que les aînés comprennent, mais utilisent peu. Nous désirons rapidement apprendre quelques mots d’atikamekw.
Comme la communauté est éloignée, nous pourrions penser que les personnes sont isolées, mais ce n’est pas le cas. Les membres sortent beaucoup du cercle de la communauté pour pouvoir obtenir des soins, faire leurs achats, accéder à la culture, à la religion… Ils se prennent en main : pour la vie sociale, le travail, la pastorale, les gens se forment et se débrouillent. Ils sont aussi très présents sur le territoire, le Nitaskinan, nom qui signifie « Notre terre » en atikamekw.
Pour nous qui souhaitons leur permettre de développer leur autonomie sur le plan pastoral, il nous faut respecter leur rythme, leur manière de vivre, leur calendrier… Cette autonomie ne doit pas en être une à notre façon, modelée selon notre vision des choses : elle doit être ancrée dans leur réalité, dans leurs façons de faire.
Nous sommes présents dix jours par mois, et l’abbé Jean Gagné vient deux jours par mois pour offrir l’eucharistie, le sacrement du pardon et l’écoute. C’est un avantage pour nous – pour ne pas dire une nécessité – d’ainsi passer du temps au sein de la communauté afin de nous imprégner de son rythme, de son environnement, et de connaître sa réalité et ses défis.
Un élément important : nous sommes soutenus par les diacres du diocèse de Chicoutimi et leurs épouses, qui prient pour la communauté et pour nous.
Il est certain que la communauté aimerait bénéficier de la présence permanente du prêtre, mais nous sommes l’exemple qu’une communauté peut vivre sans cette présence continuelle. Non pas que cela soit l’idéal, mais dans le présent contexte marqué par une faible relève du côté des prêtres, il est primordial, comme dans toutes les communautés chrétiennes, que celles-ci développent leur autonomie pastorale.
Il nous reste encore beaucoup à apprendre et à apprivoiser, mais nous pouvons conclure que notre engagement est stimulant, épanouissant et, surtout, qu’il se vit sur les pas de Jésus.

Alain Bilodeau a travaillé dans plusieurs domaines, notamment dans le milieu agricole et communautaire. Il a été ordonné diacre permanent en 2006. Jocelyne Guénard a été professeure de mathématiques durant 35 années en milieu collégial. Ils sont parents de 4 enfants et grands-parents de 10 petits-enfants. Alain et Jocelyne sont également membres de la troupe du Théâtre Mic-Mac de Roberval depuis plus de 20 ans. Ils œuvrent à la Mission Saint-Étienne d’Opticiwan depuis août 2022, communauté chrétienne atikamekw qui est rattachée au diocèse de Chicoutimi, après avoir également été impliqués, notamment, à la paroisse Kateri-Tekakwitha de la communauté innue de Mashteuiatsh.