Depuis quelques années déjà, Mission chez nous fait appel à quelques collaborateurs et collaboratrices pour la rédaction d’articles originaux que nous publions pour votre plus grand plaisir sur notre blogue. Merci à eux pour cet apport considérable.
Note : ce texte reprend la conférence donnée par l’auteur lors du cocktail-bénéfice qui s’est tenu le 12 septembre dernier à l’archevêché de Sherbrooke au profit de Mission chez nous.
par Brian McDonough

Brian McDonough a travaillé dans des communautés de l’Arche, a complété des études de droit à l’université McGill, avant de devenir en 1984 membre du Barreau du Québec. En 1995, il fonde l’Aumônerie communautaire de Montréal, organisme qui accompagne dans leurs démarches d’intégration à la société des personnes ayant connu l’incarcération, et ce, dans une perspective de justice réparatrice. La même année, il devient aussi directeur de l’Office de la pastorale sociale du Diocèse de Montréal, poste qu’il occupe jusqu’en juillet 2018 et qui lui permet de collaborer étroitement avec des organismes communautaires de lutte contre la pauvreté et d’autres formes d’exclusion sociale. En 2012, il fera partie du comité consultatif régional de la Commission de vérité et de réconciliation sur les pensionnats autochtones. Depuis 2001, Brian enseigne au département des études théologiques de l’université Concordia. Il donne aussi des cours dans plusieurs autres institutions. La Mission Saint-François-Xavier à Kahnawake est sa communauté chrétienne d’adoption, où il continue de tisser des réseaux d’amitié. Enfin, pendant plusieurs années, il sera modérateur du comité organisateur des sessions Retour à l’Esprit au Québec. Brian est aussi père de quatre enfants et grand-père de quatre petits-enfants.
Lorsqu’on m’a présenté il y a quelques minutes, on a mentionné que j’avais été membre du Comité aviseur régional pour la Commission de vérité et de réconciliation sur les pensionnats autochtones. Les audiences de la Commission se sont tenues à Montréal en avril 2013. En effet, j’ai été très engagé dans le recrutement de bénévoles catholiques pour les aires d’écoute où des Autochtones, qui avaient connu les pensionnats, pouvaient rencontrer des représentants des Églises et partager leur histoire avec eux. Aussi ai-je accompagné Mgr Christian Lépine, qui venait d’être nommé archevêque de Montréal, lors des prises de parole par des hommes et des femmes autochtones, victimes d’agressions dans les pensionnats. Je peux vous avouer que ce fut un moment très difficile pour nous qui étions visiblement associés à l’Église institutionnelle. Je refusais de croire que cette Église – que j’aime et qui est ma famille spirituelle – ait pu être complice de politiques qui visaient à détruire les cultures et les spiritualités autochtones. Non, je me disais, ce sont des exagérations ou des histoires montées de toutes pièces, avec l’aide d’avocats, pour obtenir des compensations monétaires généreuses (dont une part considérable allait remplir les poches de ces mêmes avocats). S’il y avait pu avoir quelques incidents, je me disais, c’était des cas isolés.
Mais mes idées ont été profondément remises en question par des témoignages de personnes lucides et crédibles, qui démontraient clairement qu’on avait mis en place une structure qui permettait (et cachait) des violences systémiques. Certes, vous et moi ne sommes pas coupables de ce qui s’est passé dans les pensionnats et de la mise en place de cette structure colonialiste qui visait l’assimilation des Autochtones. Mais, par la dimension sociale de notre nature humaine et notre intégration à l’Église par le baptême, vous et moi sommes responsables des conséquences : nous devons réparer les torts du passé et mettre en place des mesures pour que ces injustices ne se reproduisent plus.
Ma participation à la Commission de vérité et de réconciliation a bouleversé mes croyances au sujet de l’histoire des relations entre Autochtones et Blancs. J’avais toujours pensé que je possédais une assez bonne connaissance de l’histoire du Québec et du Canada. Or je constatais, à la suite des conférences organisées par la Commission, à quel point mes connaissances étaient incomplètes et truffées d’erreurs. (Rappelez-vous de ce que vous avez appris sur les Autochtones à l’école. À la mienne, on parlait surtout des pauvres jésuites martyrisés par ces « démons », les Iroquois.) Oui, il y avait des trous béants dans ce que je pensais savoir à propos des peuples autochtones, de leur apport à l’établissement de la Nouvelle-France et de l’impact désastreux de la colonisation et de la sédentarisation sur les cultures et les traditions autochtones. Je constatais que ma façon de regarder les réalités sociales, économiques et politiques du pays était sérieusement handicapée, limitée par des angles morts et par des distorsions héritées de mon milieu social et de mon éducation.
Il fallait que je fasse quelque chose pour corriger cette situation malsaine et malhonnête. Une des résolutions que j’ai prises à la suite des audiences de la Commission était de chercher à mieux connaître les autochtones qui vivaient de l’autre bord du fleuve, à une demi-heure d’où je demeure, à Verdun. Alors j’ai pris la décision de faire de la Mission Saint-François-Xavier, à Kahnawake, ma communauté de célébration dominicale. Avec le temps, j’ai pu tisser des liens d’amitié avec des familles mohawks et j’ai commencé à mieux apprécier leur culture et leurs traditions. J’ai commencé à comprendre comment les Mohawks, dont un bon nombre sont catholiques depuis des générations, ont trouvé les moyens de maintenir leur identité culturelle et de vivre le catholicisme à leur façon, en sauvegardant les grandes intuitions spirituelles héritées de leurs ancêtres et inscrites dans leur attachement à leur territoire ancestral. À vrai dire, ce sont des personnes autochtones qui m’aident aujourd’hui à vivre – plus profondément et plus authentiquement – ma foi catholique.
À force de fréquenter des membres de la communauté des Mohawks, j’ai reçu des invitations à participer à des célébrations communautaires, telles que le pow-wow de Kahnawake le deuxième week-end de juillet, ou à assister à un spectacle de danse traditionnelle, ou encore à assister à un tournoi de hockey amateur. Souvent, après la messe du dimanche, je prends le brunch avec des amis au restaurant Friends. J’appelle même les Mohawks qui nous servent par leur prénom. Je suis connu par les clients autochtones comme faisant partie des « réguliers ». Bientôt, j’ai été invité à prendre le brunch chez les gens – le repas traditionnel du dimanche midi étant un bon steak avec une galette épaisse faite de farine de maïs –, repas délicieux, mais un peu lourd pour moi. Sans être trop indiscret, j’ai pu admirer les photos ou certains objets de décoration et j’ai commencé à mieux comprendre l’histoire de leur famille et le sens symbolique de leurs objets sacrés.
Je me suis mis à apprendre quelques phrases dans la langue des autochtones que je rencontrais – d’abord un simple « kwé » pour dire bonjour, ou un petit « nia:wen » pour dire merci. (Lorsque je communique avec des Innus de la Basse-Côte-Nord, je tente de prononcer le mot « tsishkumetin » pour dire merci). J’ai même tenté de suivre des cours de langue mohawk, tentative qui m’a fait découvrir ma limite : je n’arrivais plus à retenir par cœur le vocabulaire et la grammaire. Mais je sais que mes efforts vaillants faisaient énormément plaisir aux gens.
J’essaie de ne pas rater une occasion de rendre un petit service : prendre une photo lors d’une rencontre familiale ou encore me servir de mes connaissances juridiques pour venir en aide à une personne dans le besoin. Établir des relations d’amitié est, selon moi, la chose la plus importante. Il faut cultiver la patience, car, comme vous le savez, ça prend du temps pour établir des relations de confiance, surtout parce que l’histoire des relations entre Autochtones et Blancs a été marquée par des blessures et des trahisons.
Je tente avec des amis de me tenir au courant des questions et des enjeux des communautés locales, surtout en écoutant les aînés. À Kahnawake, il y a plusieurs hebdomadaires, dont le Eastern Door. Avec le temps, je suis devenu allergique à certains quotidiens de la métropole qui diffusent des nouvelles tendancieuses et renforcent certains préjugés contre les Autochtones.
Je prends maintenant grand plaisir à mieux connaître l’histoire de mon coin de pays et à mieux comprendre les interactions qui ont eu lieu – sur plusieurs générations – entre les Autochtones et les gens qui s’y sont implantés. On peut beaucoup apprendre en visitant le Village huron Onhoüa Chetek8e à Wendake (dans la banlieue de Québec), le Musée des Abenakis à Odanak (situé entre Sorel et Nicolet) ou encore le Centre de bienvenue de Kahnawake ainsi que le Sanctuaire de sainte Kateri Tekakwitha (notamment son centre d’interprétation où on présente non seulement cette sainte mais aussi la culture mohawk). Il y a actuellement beaucoup de bons livres disponibles sur le marché, ainsi que des documentaires préparés par des spécialistes autochtones et diffusés à la télé, notamment sur la chaîne APTN. Je vous suggère aussi vivement la lecture du livre Mythes et réalités sur les peuples autochtones (3e édition mise à jour et augmentée, disponible en format pdf), écrit par Pierre Lepage, avec la collaboration de l’Institut Tshakapesh et la Commission des droits de la personne du Québec. Je dois ajouter que le Secrétariat aux affaires autochtones offre des outils qui vous permettront de mieux connaître les diverses nations autochtones situées sur le territoire du Québec.
Mon travail à l’Archevêché de Montréal m’a donné l’occasion d’accueillir régulièrement des gens de la rue, dont au moins le tiers est Inuit. Si je suis aujourd’hui à la retraite, je ne manque jamais de les saluer quand je me promène près de mon ancien lieu de travail. On a souvent l’occasion de rire ensemble.
Peu à peu, je commence à me déplacer de mon monde et à rentrer dans celui des Autochtones. Je prends goût à leur culture et à leur façon de voir la réalité. Aussi ai-je pu visiter des communautés plus éloignées de la métropole. Moi qui suis « un gars de la ville » jusqu’au bout des ongles, je me suis trouvé à faire des jeûnes dans la fin fond de la forêt boréale et à participer à des rites de purification dans des tentes de sudation. Ce sont des expériences spirituelles fort marquantes. Ces expériences m’ont aidé à mieux comprendre le lien fondamental, chez les Autochtones, entre identité et territoire. Des aînés m’ont enseigné à prier avec une attitude de grande simplicité, de dépouillement, avec très peu de mots, en cultivant un esprit d’écoute attentive et de patience confiante, sans oublier d’accorder à l’humour la place qui lui est due.
Depuis quelque temps, je demande au Seigneur de transformer mon cœur et mes attitudes. Prier est dangereux, car on risque d’être bousculé dans ses idées et ébranlé en constatant la présence en soi de préjugés que l’on ne soupçonnait pas. Ce sont à de bonnes personnes que Jésus adressait avec tant d’insistance l’invitation à se convertir (Mt 4, 17).
Dans certains milieux, on parle aujourd’hui du besoin de « décoloniser » nos attitudes en Église et en société. Que veut dire le verbe « décoloniser »? Peut-être nous invite-t-il à cesser de penser que notre culture et notre façon de vivre la foi sont supérieures à celles des Autochtones. Un petit exemple personnel : jusqu’à récemment, je priais « pour le renouveau de la foi catholique dans les communautés autochtones ». Il m’a fallu une retraite dans la forêt boréale pour comprendre, grâce à l’Esprit saint, qu’il fallait prier aussi « pour le renouveau de la foi catholique grâce à la spiritualité et aux traditions des Autochtones ». Avant ma retraite, l’objet du renouveau était les communautés autochtones; après la retraite, l’objet du renouveau devait être également la façon dont la foi catholique se vit actuellement.
Cette conversion du cœur – cette décolonisation de nos attitudes en Église – nous est rappelée régulièrement par le pape François lui-même. Dans son encyclique sur la sauvegarde de notre maison commune, Laudato Si, le saint Père affirme que les peuples autochtones ne doivent plus être considérés comme les simples destinataires ou bénéficiaires de l’œuvre missionnaire, mais plutôt comme des véritables partenaires dans la réalisation de la mission de l’Église. Les nations autochtones, selon le pape François, « ne constituent pas une simple minorité parmi d’autres, mais elles doivent devenir les principaux interlocuteurs, surtout lorsqu’on développe les grands projets qui affectent leurs espaces. En effet, la terre n’est pas pour ces communautés un bien économique, mais un don de Dieu et des ancêtres qui y reposent, un espace sacré avec lequel elles ont besoin d’interagir pour soutenir leur identité et leurs valeurs ».
Cette intuition du saint Père est au cœur des pistes identifiées dans les documents préparés en vue du Synode sur l’Amazonie qui se tiendra en octobre. Et si nous, gens du Québec, du diocèse de Sherbrooke, avions besoin de nos frères et sœurs autochtones pour mieux suivre Jésus dans notre monde aujourd’hui et pour mieux relever les défis qui auront un impact sur les générations à venir…
Pour terminer, je voudrais vous lire un court poème écrit par Joséphine Bacon, une femme innue de Betsiamites :
J’ai marché
J’ai portagé
J’ai pagayé
Pour te rencontrer
Les genoux abîmés
J’arrive à toi
La solitude ne m’effraie pas
Mes perches sont là à m’attendre sur ton lichen
J’apprends l’hymne du Grand Esprit
Toi, mon amie Toundra
Tu l’emportes jusqu’à lui.
Merci de votre écoute. Merci de votre soutien à l’œuvre de Mission chez nous.
2 Commentaires
DIACRE CIARAN PITCHFORD
Est-ce-que votre site web et mesage est disponible en ANGLAIS?
Mission chez nous
Bonjour M. Pitchford,
Non, malheureusement, notre site Web n’est pas disponible en anglais. Et le texte de la conférence non plus. Désolé!