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Commission Viens : et si le chapeau nous faisait aussi ?

La commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec a déposé son rapport le 30 septembre dernier. Les constats qu’on peut y lire sont accablants et démontrent clairement que la discrimination systémique dans les services publics du Québec est réelle et omniprésente envers les autochtones.

Avec tous les témoignages issus des enquêtes et des reportages réalisés en territoires autochtones auprès de victimes présumées, il m’apparaît que cette « révélation » de la part du commissaire Jacques Viens n’était un secret pour personne. Les leaders autochtones ont donc bien raison de réclamer, une fois de plus, d’être associés aux processus qui devraient être mis en place pour restaurer l’équité et la justice pour tous les citoyens dont ceux des premiers peuples.

Sensibilité culturelle

J’ai été attiré par la mention dans le rapport d’une cause probable de cette situation que nous ne parvenons pas à résorber malgré, il faut le reconnaître, certains efforts et nombre de discours étalant les bonnes intentions. Le commissaire cible une carence institutionnelle de connaissance et de sensibilité culturelle à l’égard des peuples autochtones qui sont réduits à des rapports inégalitaires et dépossédés du pouvoir sur leur propre destin : « Les structures et les processus en place font montre d’une absence de sensibilité évidente aux réalités sociales, géographiques et culturelles de peuples autochtones. » Cela résulte en des pratiques institutionnelles et des lois qui alimentent la discrimination et l’iniquité.

Cette déclaration m’a remis en mémoire l’enjeu de sécurisation culturelle que défend Pierre Picard, de Wendake, dans ses conférences un peu partout au Québec. Celui-ci démontre de manière éloquente que la vraie difficulté dans l’offre de services auprès de la population autochtone réside dans la méconnaissance voire l’insensibilité culturelle de la part d’une forte majorité d’intervenantes et intervenants allochtones.

Grâce au continuum de sécurisation culturelle, Pierre Picard pointe le troisième stade, soit celui la sensibilité culturelle, comme un premier pas vers le changement de posture. Ce stade est au centre du continuum, le premier étant « l’inconscience culturelle », qui est l’attitude habituelle lorsqu’il n’y a pas d’interrelations entre les cultures; le second étant la « conscience d’une différence culturelle » sans que celle-ci ne mène à un changement d’attitude envers les autochtones. Bref, ce n’est qu’à partir du moment où un intervenant ou une intervenante développe un début d’empathie – qui est au cœur du 3e stade – qu’il peut commencer à s’interroger sur ses attitudes et ses pratiques. Jusque-là, le problème repose toujours sur les autochtones qui devraient normalement s’adapter, s’intégrer ou changer en vue de comprendre l’ordre des choses tel que nous le concevons.

La sensibilité culturelle implique donc un renversement des choses. Celui ou celle qui doit changer n’est pas d’abord le « bénéficiaire » d’un service public, mais celui ou celle qui le donne. Pour cela, cette personne doit développer des compétences culturelles, ce qui revient à aller plus loin que la simple constatation de différences et d’impasses et se situer en mode d’apprentissage culturel.

L’Église n’est pas en reste

Lorsqu’on parle de « services publics », il ne vient plus à l’idée de personne que l’Église catholique continue d’offrir des services pastoraux et sacramentels aux gens des Premiers Peuples. Malgré leurs efforts pour mieux comprendre les différences culturelles (stade 2), j’ai entendu plusieurs fois des missionnaires se dire exténués par les rapports complexes entretenus avec les baptisés autochtones. Chaque fois, je me disais qu’il devait y avoir quelque chose en ce qui a trait à l’attitude, comme si ces hommes d’Église avaient inévitablement quelque chose à donner, devaient se montrer généreux en tout alors qu’ils auraient pu aussi se laisser porter dans leur vulnérabilité et s’enrichir des valeurs fortes des cultures autochtones pour mieux les intégrer à l’œuvre d’évangélisation. Mais je juge peut-être…

Cependant, il est intéressant de noter que le mandat de la commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec se résumait en trois mots-clés : écoute, réconciliation et progrès. Il me semble que ces mots peuvent aussi inspirer l’Église dans ses élans pastoraux, car ils sont parfaitement en phase avec sa mission.

En terminant, j’ai établi quelques-uns des appels à l’action du rapport Viens qui pourraient trouver résonance dans l’Église, même s’ils ne lui sont pas adressés, afin de favoriser toujours plus les rapprochements interculturels.

Par exemple, l’appel à l’action no 20 propose de réaliser, en collaboration avec les autorités autochtones, une campagne d’information sur les peuples autochtones du Québec, leur histoire, leur diversité culturelle et les enjeux de discrimination les affectant. L’histoire est toujours apprise de l’intérieur de notre culture, ce qui a pu influencer notre jugement sur les autochtones. Peut-être est-il temps de la réapprendre à partir de leur point de vue.

Les appels nos 21, 22 et 23 invitent à intégrer un contenu enrichi dans l’éducation scolaire afin de donner un portrait juste et représentatif des Premières Nations et des Inuits du Québec, et ce, tant pour le primaire, le secondaire que les études supérieures. Qu’en est-il est écoles confessionnelles encore sous la responsabilité de l’Église?

L’appel no 24 concerne les ordres professionnels, les invitant à l’importance d’inclure dans leurs programmes de formation des contenus développés en collaboration avec les autorités autochtones et portant sur les besoins et caractéristiques des Premières Nations et des Inuits ainsi que sur la sécurisation culturelle. L’appel no 25 élargit par ailleurs cette recommandation aux cadres, aux professionnels et aux employés des services publics en insistant sur la sensibilité, la compétence et la sécurisation culturelle. Nous retrouvons ici les trois derniers stades du continuum de sécurisation culturelle. Si nous considérons les professionnels œuvrant en Église auprès des autochtones, nous pourrions très bien nous approprier cet appel.

Les appels nos 74, 75 et 76 concerne les services de santé et les services sociaux, les enjoignant d’inclure la notion de sécurisation culturelle, toujours en collaboration avec les autorités autochtones. De notre part, est-ce que nos « soins spirituels » comportent toujours cette vigilance à s’assurer que les personnes accompagnées peuvent se sentir pleinement en sécurité dans tout ce qu’elles sont et dans tout ce qu’elles portent?

Si la Commission Viens ne devait analyser que les services publics offerts aux communautés autochtones, il nous revient sans doute à nous, gens d’Église, de voir si le chapeau nous fait. Alors que le Gouvernement du Québec pourrait mettre en œuvre ces appels, pourquoi l’Église n’en ferait-elle pas autant? Ainsi, la convergence des efforts pourra peut-être contribuer à modifier réellement les rapports entre les peuples autochtones et la nation québécoise dont la majorité est encore catholique. À force de frapper sur le clou de notre incapacité à mieux interagir avec les Premiers Peuples, il finira bien par s’enfoncer correctement et se prêter à une nouvelle coconstruction de nos relations.

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