Le livre La bienveillance des ours (Éditions du Quartz, 2020) présente un échange épistolaire entre deux artistes : François Lévesque, journaliste au Devoir et écrivain, et Virginia Pesemapeo Bordeleau, artiste multidisciplinaire d’origine autochtone. Une véritable déclaration d’amour à l’ouverture et à la différence.
Un compte rendu de Mathieu Lavigne
Tout d’abord, ce titre magnifique qui ne peut que piquer notre curiosité : La bienveillance des ours… Dans cette correspondance entre l’écrivain et journaliste au Devoir François Lévesque et l’artiste multidisciplinaire Virginia Pesemapeo Bordeleau, on apprend que, pour certains peuples autochtones, l’ours, dans le monde des rêves, est souvent le symbole de la mère, d’où cette bienveillance qui lui est accolée dans ce titre poétique.
La bienveillance est également au cœur de cet échange épistolaire, de cette danse littéraire entre deux correspondants ayant en commun leur Abitibi natale, la pratique de l’écriture, mais aussi une connaissance intime de la marginalité, ou plutôt de la marginalisation. C’est au Salon du livre de l’Outaouais que les deux artistes font connaissance, participant à une même table ronde. Rappelons que François Lévesque est notamment l’auteur du roman policier Neiges rouges (Alire, 2018), qui aborde avec une vive sensibilité le drame des femmes autochtones assassinées ou disparues. De son côté, Virginia Pesemapeo Bordeleau, en plus de sa pratique – célébrée – de la peinture (voir ses œuvres), a publié plusieurs titres dont Poésie en marche pour Sindy (Éditions du Quartz, 2018), recueil faisant mémoire de Sindy Ruperhouse, une femme autochtone abitibiwinni de Pikogan, disparue en 2014. Bienveillance, donc, entre deux êtres à l’enfance douloureuse, deux êtres qui se livrent avec confiance, loin de tout apitoiement, profitant de ce lieu d’écoute et d’accueil qu’est la correspondance. Virginia Pesemapeo Bordeleau y évoque d’ailleurs une famille dysfonctionnelle et ce double rejet qu’elle a vécu : trop blanche pour certains, trop autochtone pour d’autres, elle qui est fille d’une mère crie et d’un père québécois métissé. François Lévesque témoigne de son homosexualité qui fut difficile à vivre dans sa jeunesse à Senneterre. Pour tous deux, l’écriture, comme le souligne Jean-Guy Côté dans sa préface, devient ici résilience.
Cet échange est aussi pour le lecteur une plongée fascinante et privilégiée dans le mystère du processus de création. La marginalisation vécue est ici, pour François et Virginia, un lieu de rencontre, mais la création l’est tout autant : la création comme lieu de guérison, comme désir d’expression et de communication. «Dans le geste de créer, il y a le refus de renoncer à la vie. Créer, c’est une façon de dire : “Je suis vivant! Voici mes couleurs, voici mes mots, voici mes chants”», lançait Virginia Pesemapeo Bordeleau en entrevue au Devoir en août dernier.
Je me permets de reprendre ici en entier un passage qui m’a profondément ému, touché, illustrant tout le chemin de guérison parcouru par l’aînée de ce duo de créateurs abitibiens :
J’ai eu une intuition, celle de rendre hommage à ma mère sans vraiment parler d’elle, car je sens que je dois prendre le temps de la dire, non pas avec la colère mais avec une approche maternelle et compréhensive de ce qu’elle m’a apporté, malgré tout. Je pense souvent à une photo d’elle enfant vêtue d’un manteau de peaux de lièvres tressées, derrière elle se dresse un tipi en écorce de bouleaux. Je vois cette petite fille sauvage, sortant de la forêt et survivant au mieux de ses capacités dans un univers transformé, passage presque de l’âge de pierre à celle de l’atome.
Émane de cet échange une déclaration d’amour à la différence, à l’ouverture à l’autre, ouverture qui nécessite d’accepter de se livrer en partie, de se dire, de se rendre vulnérable. « Toutes les différences m’interpellent et me renvoient à la mienne, et je trouve ça… beau? Ce potentiel de marginalités diverses qui se rejoignent et annihilent ces marges? », écrit François Lévesque dans ces pages. Il y a ici un appel à l’empathie, à l’écoute de l’autre, mais aussi un appel à aller plus loin, à faire ce nécessaire – et difficile – pas vers l’autre. Créer des ponts, avancer avec humilité : la guérison des relations ne peut faire l’économie de cette «danse» profondément belle et humaine qu’est la rencontre. La bienveillance des ours illustre comment la création peut aussi contribuer à cette démarche de guérison qui devient tant individuelle que collective.
Vous appréciez les recueils de correspondances? Sachez que les Éditions Écosociété publieront plus tard en janvier 2021 une nouvelle édition de Kuei, je te salue, conversation sur le racisme. Un autre ouvrage profond, franc, où le dialogue authentique qui se déroule devant nos yeux entre la poète Innu Natasha Kanapé Fontaine et le romancier québéco-américain Deni Ellis Béchard ne peut qu’entraîner des déplacements intérieurs.