Nous vous présentons ici la conférence de Mgr Dorylas Moreau, évêque de Rouyn-Noranda, qui a été prononcée à Mont-Laurier le 12 juin 2015 lors d’une soirée-bénéfice organisée pour Mission chez nous. Deuxième de trois parties.
Note : Pour un compte rendu plus détaillé du déroulement de cette soirée, lire le billet déjà paru sur notre blogue.
Deuxième partie : mes visites à Kitcisakik
Mon expérience de nouvel évêque avec les Algonquins
Un territoire et une réserve, ce n’est pas la même chose! Juste sur le plan gouvernemental, les groupes qui portent le nom de réserve sont beaucoup plus protégés par les gouvernements que les territoires. Alors, dans mon diocèse, il n’y a pas de réserve, mais trois territoires. Et ils sont constitués non pas de Cris comme tantôt, mais d’Algonquins. Alors, je vous les nomme – vous êtes peut-être déjà passé par là – : il y a Winneway, à la limite sud-est du Témiscamingue, tout au fond du Témiscaminque… sur la bordure de l’Ontario; Notre-Dame-du-Nord, qui est plus au centre du diocèse, tout près de la paroisse qui porte le même nom; puis, le grand Lac Victoria, au centre du parc. Je suis passé par là, tout à l’heure. Je ne suis pas entré jusqu’au grand Lac évidemment, parce que c’est à une vingtaine de kilomètres de la route, mais je suis passé par la communauté qui a repris depuis quelques années son nom algonquin : la communauté de Kitcisakik. Si vous ne le retenez pas, c’est pas grave! Je vais vous parler parfois de Kitcisakik, alors il vaut mieux que vous je vous le présente un peu.
En fait, la différence entre les réserves et les territoires, c’est une différence de droit! Les droits ne sont pas les mêmes! Les réglementations ne sont pas pareilles. Les subventions sont disproportionnées et le lien avec le ministère des Affaires indiennes est extrêmement restreint! Ils doivent quêter leur pitance! Alors, je vais vous parler plutôt du lac Victoria, même si vous en avez entendu parler probablement l’année passée par sœur Rénelle.
Vous m’avez demandé de parler de mon expérience : c’est celle-là que j’ai. Parce que j’y vais beaucoup plus souvent que dans les deux autres réserves. La configuration de Kitcisakik est la suivante : c’est une petite île, minuscule, d’à peine un kilomètre et demi carré, située au milieu du grand lac Victoria. C’est pour ça que ça porte ce nom-là! Les aînés vivent là l’été, c’est comme leur lieu de villégiature. Alors, à Kitcisakik, quand j’y vais pour la visite pastorale, au mois d’août habituellement, je réside avec les aînés. De là, on prend une petite chaloupe sur la rive, dix minutes… et j’arrive au lac Dozois où vivent toutes les jeunes familles. À compter du mois d’août, lors de ma visite pastorale, je vais donc faire une partie de mon séjour avec les aînés, je vais répondre à leurs besoins, puis je vais passer deux fois plus de temps avec les jeunes familles et les travailleurs au lac Dozois. En fait, c’est un même ensemble. C’est sur la petite île qu’est construite l’église Sainte-Clotilde, qui est la plus vieille église du diocèse de Rouyn-Noranda. Elle est reconnue comme patrimoniale.
Remarquez qu’à lac Victoria, il n’y a pas d’électricité… On s’alimente avec des génératrices… Il n’y a pas non plus d’eau courante. ce qui implique une très grande pauvreté. Je vais vous raconter quelque chose qui est triste, et que l’on m’a raconté. La première fois que j’ai fait une visite pastorale là, j’étais assis avec le missionnaire sur la petite galerie qu’il y a devant le presbytère. Il était huit heures et demie le soir et le jour baissait; il n’avait pas fait très beau dans la journée, il faisait quasiment noir… Il n’y avait plus rien, sur la réserve, il n’y avait plus de lumière. Les génératrices étaient toutes éteintes, c’était fini, la journée était finie, tout le monde était couché… Alors, j’ai dis au missionnaire : « Écoute, toi tu passes l’été ici, ça doit être quelque chose? » En m’appelant par mon prénom, il a dit : « Dorylas, c’est bon que tu réalises ça! » Et je ne veux rien justifier… Ne me faites pas dire ce que je veux pas dire… Il a repris : « Quand tu passes des mois et des mois dans une atmosphère comme ça, il ne faut pas s’étonner qu’après on saute sur tout ce qui bouge! » Voyez, c’est un peu triste à dire, mais l’ennui, la solitude, l’isolement, ça peut faire des ravages aussi! Ça en a fait, ça en a fait, on le sait maintenant, si on regarde l’histoire. Je ne veux rien justifier, mais je veux mettre l’accent sur la pauvreté!
La dernière fois que j’y suis allé, l’an passé, une Belge, une jeune femme qui faisait un doctorat sur les Premières Nations au Canada était sur place. Elle était là quand je suis passé et j’ai pu la rencontrer et échanger avec elle à quelques reprises durant la fin de semaine. Elle m’a dit : « Monseigneur, j’ai visité toutes les missions amérindiennes du Canada… Et c’est ici, au grand lac Victoria, que je trouve la plus grande pauvreté et la plus terrible misère…. Mais, en même temps, c’est ici que je trouve les rites ancestraux les mieux conservés. Ils ont été fidèles aux origines et cette situation s’est maintenue jusqu’à maintenant. Alors, ces Algonquins-là, vous le devinez, vivent essentiellement de chasse et de pêche, et la plupart doivent faire appel aux services sociaux. Il n’y a là pratiquement aucune personne instruite, car vu la coutume des Algonquins, ils n’ont pas pu fréquenter beaucoup l’école ni poursuivre des études supérieures. C’est véritablement le tiers-monde au cœur du Québec.»
Un jour, j’ai participé à une commission internationale d’évêques sur la liturgie. Puis, une fois, nous avons eu une réunion à Monaco. Vous avez peut-être entendu parler de Monaco, du roi Albert et de sa suite? Un pays pas très pauvre! (Ironique) Alors, j’avais séjourné à Monaco et, par un concours de circonstances, je suis rentré au pays et, dès la fin de semaine suivante, je faisais ma visite paroissiale à Kitcisakik. Un gros contraste! Alors, j’ai écrit dans le journal un billet qui s’appelait « De Monaco à Kitcisakik ». Je vous en ai apporté quelques copies; j’en laisserai peut-être une couple par table… J’y faisais alors part de mon expérience. J’avoue que ça avait fait un peu de bruit dans le milieu! C’est une bonne chose sur laquelle on pouvait faire du bruit…
Apprendre à connaître nos frères et sœurs
Avec les années, j’ai développé une familiarité particulière avec cette communauté d’environ 500 à 600 personnes. J’aimerais vous en tracer le portrait. Quand j’arrive pour la visite pastorale, alors là il faut vraiment pas être gêné… J’arrive en chaloupe, comme les missionnaires d’autrefois, les pères Oblats. J’arrive en chaloupe ou en ponton, qui fonctionne quand il y a de l’essence! Alors, quand j’aborde la petite île, voici ce qui se passe : ils ont mis des drapeaux du Pape à toutes les maisons – il y a à peu près une trentaine de maisons en bois rond. Puis, quand je mets le pied sur le sol, comme Jean-Paul II qui visite le Canada, un coup de fusil est lancé. Ça, ça veut dire bienvenu! Puis les cloches de l’église sonnent! Je me sens comme en 1940, mais, en même temps, c’est beau… Tous les enfants et les jeunes accourent au quai pour me saluer. Si j’ai une valise ou deux, parce qu’il faut apporter pas mal d’affaires. (Au début, je me demandais s’il fallait que j’apporte mon trousseau d’évêque. Ils m’ont dit : « Faut surtout pas oublier ça! » Ils veulent que ce soit une vraie visite pastorale avec le bâton pastoral, le chapeau de chef et tout ce que ça prend.) Alors dès que je mets le pied sur le quai, mes valises s’envolent et je les revoie rendu à la maison plus tard.
Quand on part, c’est la même chose. Sauf qu’alors, les petits drapeaux, ils les ont décrochés de la maison et les ont dans les mains. Et ils viennent me reconduire sur le quai. Et là, c’est sept coups de canon de fusil dans les airs. Au début, j’ai eu peur… mais il y a vraiment quelqu’un qui est chargé de ce rituel, c’est vraiment un signe d’hospitalité. J’ai découvert là une communauté qui a un grand sens de l’accueil.
Vous connaissez un peu les Amérindiens comme moi… Quand on ne les connait pas et que l’on s’adresse à eux, ils regardent par terre!… Ils vous donnent la main avec une main molle. C’est simplement de la politesse. Cependant, ils commencent à te regarder dans les yeux quand ils sentent que tu t’intéresses profondément à eux. Ça, ça m’a beaucoup touché. Le missionnaire dont je vous parlais tout à l’heure est décédé aujourd’hui. À ses funérailles, dans les témoignages qu’ils lui ont rendus, il y avait quelque chose qui m’a beaucoup touché… Un jour, lors d’une visite pastorale, ils ont fait un «mégacham», une sorte de festin. Ils apportent chacun un plat de nourriture, et on met ça sur de grandes tables… Et tout le monde va se servir. Derrière les tables, il y a quelqu’un qui nous sert dans nos assiettes… Je passais devant les plats, des dames nous donnaient chacun notre portion. Quand je suis arrivé devant le plat de langues d’orignal – vous avez déjà mangé ça? Moi, j’aime ça de la langue, mais ce n’est pas tout le monde qui aime ça… –, la dame m’a dit : « Monseigneur, voulez-vous de la langue? » J’ai répondu : « Bien sûr, j’aime ça! » Bien, ce jour-là, je les ai eus comme ça! C’est un signe qu’on est des leurs! Après cet épisode, ils se sont mis à me regarder dans les yeux! Puis à être fort gentils avec moi! Vous voyez? Un petit geste extrêmement simple!
Bref, voilà une communauté qui a un grand sens de l’accueil, malgré, comme je vous ai dis, une certaine réserve naturelle dans les premiers contacts. Mais, dès que s’installe une relation, un climat de confiance se développe, une courtoisie, une affabilité peu commune. Ce sont des gens attachants quand ils nous considèrent des leurs! À la visite pastorale, sur le quai, ils font une haie d’honneur quand l’évêque arrive. Puis l’aîné de la communauté est le premier à qui je donne la main. Je dois le serrer dans mes bras et, après, tous les autres. Ça veut dire qu’en arrivant, dans la première heure, j’ai donné la main à tout le monde… ils sont tous là pour l’accueil. Et s’ils sont pas là, c’est qu’ils ont été empêchés. Alors, dès qu’ils vont mettre le pied sur l’île, ils vont venir me dire bonjour! C’est quand même très touchant… Voilà donc une première chose que je retiens d’eux!
Une deuxième chose que je retiens d’eux, c’est leur ouverture au sacré et au religieux. Comme dans ma communauté du Nord-Ouest du Manitoba dont je vous ai parlé en premier lieu. Ce sont des gens très fervents – sœur Rénelle a dû vous en parler lors de son intervention elle aussi –, mais qui font preuve d’une foi populaire! Ce qu’on appelait, quand j’étais petit, la foi du charbonnier! Une foi populaire qui s’exprime par le fait qu’ils soient très attachés aux bénédictions, aux processions, aux rites divers. Quand c’est la dernière messe de la visite pastorale – le mot se dit, la messe est à 11 h d’habitude; puis suit un mégacham où tout le monde est là –, alors tous apportent tout ce qu’ils veulent faire bénir! J’ai béni toutes sortes d’affaires, même des fesses d’indienne. Parce qu’un jour, une Amérindienne est venue me voir pour se faire bénir. Elle disait : « mon épaule », alors j’ai fait une croix sur l’épaule. Et après ça, sur son œil, où elle avait mal. Quand à un moment donné, elle s’est tournée… là, j’ai arrêté! J’ai lui ai dit alors : « Tous vos morceaux sont bénis! »
Ils manifestent une foi populaire, qui est fort agréable! C e n’est pas choquant… Ils vont faire bénir, par exemple, les médicaments, pour que ceux-ci portent des fruits. J’ai béni des onguents dont je ne savais pas à quoi ils servaient. Ils font bénir des récipients d’eau pour avoir de l’eau bénite toute l’année! Et ils en dépensent, de l’eau bénite! Tout cela se passe à la dernière messe, alors il faut pas être trop scrupuleux quand certains arrivent avec des seaux de vingt livres devant l’autel, puis des carafes, et tout autre récipient. À la fin, il faut bénir tout ça. Je me suis laissé dire que – je ne sais pas si Rénelle vous avait signalé ce détail – quand on bénit là-bas, il faut toucher! Si je bénis une cruche d’eau, il faut que je mette ma main dans la cruche d’eau pour dire qu’elle est vraiment bien bénite. Remarquez bien que je m’en passerais un peu, mais ça ne me déplaît pas trio de mettre la main dans l’eau de temps en temps.
J’ai remarqué aussi deux autres choses…
Mgr Dorylas Moreau
À suivre dans le prochain billet.
Prochaine partie : Le sens de la communauté