Nous vous présentons ici la conférence de Mgr Dorylas Moreau, évêque de Rouyn-Noranda, qui a été prononcée à Mont-Laurier le 12 juin 2015 lors d’une soirée-bénéfice organisée pour Mission chez nous. Dernière de trois parties.
Note : Pour un compte rendu plus détaillé du déroulement de cette soirée, lire le billet déjà paru sur notre blogue.
Troisième partie : le sens de la communauté
Deux autres forces de cette communauté
J’ai remarqué aussi leur attachement aux aînés! C’est absolument exceptionnel! On appelle les grands-mamans amérindiennes, les kokoms. Quand il y a un mégacham, un grand festin, on ne commence jamais le repas si les aînés ne sont pas encore arrivés. Des fois, ça a des conséquences importantes. Je vous raconte une anecdote : un jour de Noël, avec mon vicaire général, on avait eu un gros réveillon chez des gens, et on avait festoyer en masse. Nous nous sommes dit : «Ces pauvres-là, au grand lac, probablement qu’ils n’ont pas eu le festin qu’on a eu; on va aller leur dire une messe de Noël, puis on va manger avec eux autres. Alors Gilles, mon vicaire général, me dit : « C’est bien correct! » Alors, on s’annonce. Ils étaient tout heureux et ils nous ont dit : « On organise un mégacham pour fêter ça après! » Mais la messe était à onze heures… Le temps qu’on se rende sur place, qu’ils viennent nous chercher à la rive et puis qu’on célèbre la messe, qu’on traverse à la salle de l’école pour le repas, tous les plats étaient arrivés! Ils étaient chaud à la maison, mais on a commencé à manger à 14 h 50. Nous étions arrivés là vers midi et quart, midi et demie. On attendaient que les aînés arrivent. Il y en a une qui est arrivée, portée sur un brancard; un autre qui avait beaucoup de difficultés à marcher. Tant que les aînés n’étaient pas assis à la table, personne n’a commencé à manger! Même si les plats refroidissent, ce n’est pas grave. Alors, on a mangé froid ce jour de Noël! Rien de grave, on a mangé! Eux, ils vont mettre leurs aînés en institution seulement s’ils sont très gravement malades et, le plus souvent, il est trop tard! C’est dans leur culture.
Une quatrième chose retient mon attention : ils ont un sens et un respect de la nature et de l’environnement, que l’on comprend aisément en raison de leur mode de vie. Vous savez qu’il y a la tradition du plat pour les animaux. À tous les mégachams, quelqu’un circule avec un plat vide, un grand plat, un grand bassin et on y met une bouchée de chaque chose qui est sur la table. Une personne désignée va alors porter le récipient sur l’île, au pied d’un arbre, pour le bien-être des animaux qui vont s’en régaler. C’est quand même beau comme tradition, cette proximité avec la nature et avec les animaux.
En somme, ils ont un sens de la communauté remarquable et réel. Malgré leur misère, leur pauvreté, ils vont prêter plein de choses! Ce dont tu as besoin… On se prête des outils, volontiers, on partage des repas, on se prête du linge, des abris, des génératrices… Ça veut dire que, quand on est plus pauvre, on est plus dépouillé de ce qui nous appartient. Et ils le font sans jamais une plainte. Bref, dans un environnement très précaire, pourrait-on dire, on s’entraide. Alors, si le repas n’était pas bon ce soir, ce dont je doute fort, vous n’avez pas le droit de vous plaindre!
Je vais terminer par un mot d’hommage à Mission chez nous! Surtout que Mme Suzanne Tremblay, directrice de l’organisme, qui est là à côté de Monseigneur Lortie, est présente à ce repas. C’est à dessein que je n’ai pas abordé plus tôt l’aspect financier et administratif que, comme diocèse, nous devons aussi développer pour maintenir ces communautés amérindiennes. J’ai voulu plutôt m’attacher aux valeurs humaines que l’on trouve dans ces communautés-là. Mais vous devinez bien que cet aspect financier et administratif reste très important tout de même… On ne peut l’occulter, le passer sous silence. Pour répondre à ces besoins plus spécifiques des diocèses, les évêques du Québec ont un jour fondé, par l’entremise du cardinal Turcotte qui est décédé cette année, un regretté frère, l’organisme Mission chez nous, appuyé par les évêques du Québec.
C’est grâce à cet organisme-là que nous recevons quelques subventions, pas toujours à la hauteur de ce qu’on aurait besoin, par faute de fonds suffisants, mais qui contribue quand même à soutenir nos initiatives. Donc, si vous vous voulez donner un petit soutien à Mission chez nous, vous savez que ça va se rendre dans les diocèses pour rendre service à ces communautés autochtones. D’ailleurs, le salaire de sœur Rénelle, qui est venue parler l’an passé, est payé presque entièrement par Mission chez nous. Bien sûr, le diocèse s’investit aussi. Alors, je voulais rendre hommage à Mission chez nous, aux gens qui y travaillent ardemment, et je pense qu’il faut faire tout pour maintenir ce service-là, qui souhaite soutenir l’aide pastorale qu’on peut apporter pour aider nos communautés autochtones.
Mission chez nous est soucieuse de ne pas susciter la dépendance trop grande de ces communautés. C’est pourquoi elle demande aussi aux communautés autochtones de contribuer à la hauteur de leurs moyens et de collaborer pour maintenir les services chez eux. Mais j’avoue que cette demande de collaboration qu’on attend d’eux, c’est encore tout récent et bien difficile à développer en raison des traditions missionnaires antérieures et aussi de leur pauvreté. C’est difficile quand on sait qu’ils viennent déposer un vingt-cinq sous dans la quête du dimanche et qu’ils sont un peu comme la veuve de l’Évangile qui a donné une part d’elle-même. C’est pourquoi l’aide de Mission chez nous nous est absolument indispensable, année après année, pour répondre aux besoins les plus grands et souvent les plus élémentaires de la vie.
Merci et grande reconnaissance à Mission chez nous. Et aussi à Mme Suzanne Tremblay qui la représente vraiment bien. Merci à vous pour votre indulgence et votre écoute attentive. Avec tout ce que j’ai dit, probablement que vous avez moins faim! Alors, je pourrais me prêter à une question ou deux, si ça vous brûle les lèvres!
Quelques questions de l’auditoire
Question d’une personne – On dit toujours que l’instruction est la clé de l’évolution, sinon de la révolution. Est-ce qu’on connaît des chiffres à propos du taux d’instruction, est-ce qu’il va en augmentant? Est-ce que les Autochtones vont aller vers des études postsecondaires? Est-ce qu’on ouvre le chemin à ça? Est-ce qu’il y a des chiffres là-dessus actuellement? Est-ce qu’on est en montant ou en descendant?
Réponse de Mgr Moreau – Il y a peut-être des chiffres, mais je ne les connais pas. Ce que je sais c’est que c’est un petit peu en pente montante mais très légèrement. Parce qu’auparavant, les communautés, et même les territoires et les réserves, étaient vraiment isolées. Il faut qu’il y ait d’abord une école sur place… et on ne trouve pas toujours les éducateurs qu’il faut. Maintenant, avec les moyens de locomotion, c’est rendu plus facile, ils peuvent aller à l’extérieur. Dans le cas de la réserve du lac Victoria, ils vont à Val d’Or pour les études secondaires. Alors, ils peuvent là parfaire des études. Et l’université leur est aussi possible lorsqu’ils en ont les moyens. C’est en pente montante, mais c’est une pente douce…
Question – Vous avez dit que les Autochtones ont chez vous au lac Victoria, mais c’est comme ça ailleurs probablement, une foi que l’on peut dire profonde, populaire, mais surtout profonde, très sérieuse. Quels sont leurs liens avec leurs coutume ancestrales qui contiennent des éléments de foi, proches de la nature? Et avec tout ce qui arrive et tout ce qu’on annonce au sujet des pensionnats, et à cause du manque de soutien des gouvernements, est-ce qu’ils ont tendance à rejeter la foi chrétienne? Quelque part, est-ce qu’ils ont tendance à abandonner cette foi? Ou, au contraire, à la renforcer?
Réponse – Bon! il y a deux ou trois questions dans ta question. D’abord, ce sont les anciens qui les initient aux rites ancestraux. C’est comme ça que la dame belge m’a dit : « Les kokoms, les grands-mamans initient les tout-petits à des rites ancestraux. Et même, elles initient les tout-petits à des rites plus modernes aussi…. Je vous parlerai de un tantôt… qui était très beau… où j’ai été très touché. Vous savez que nos feux de camp sont d’origine amérindienne! On ne le sait peut-être pas, mais c’était des palabres qui se faisaient à la porte de la tente, autrefois, et c’est devenu nos feux de camps. Alors, ces chansons, ces croyances, ces mythes des origines sont maintenus encore par les anciens. Tu disais? J’ai perdu le fil… je commence à vieillir moi-aussi.
Reprise de la question – Est-ce qu’ils ont tendance à rejeter leur foi, avec tous les problèmes qui se sont posés…
Réponse – Ah oui! Un des fléaux qui rend la vie des missionnaires là-bas difficile, c’est que, à propos des grands lacs, et c’est sensiblement la même chose à Winneway et à Notre-Dame-du-Nord, il y a de plus en plus de cohortes d’évangélistes qui viennent avec plein de dons! Ils arrivent avec des camions de vêtements et de vivres pour essayer de les agripper. Bon! Moi, je n’ai rien contre les communautés évangélistes, mais j’en ai contre le procédé. Et puis, il y a des groupes de Coréens – ne me demandez pas pourquoi ils viennent de si loin – qui ont la même stratégie… Des amérindiens m’ont dit : « Monseigneur, n’ayez pas peur! Monseigneur, ne craigniez rien, on aime trop le Bon Dieu pour s’éloigner de lui. » Je n’ai pas dit que le fait de devenir évangélistes les éloignait du Bon Dieu, mais vous voyez un peu dans quel optique…
Question – Vous avez parlé de vérité et de réconciliation. Si on entend cela, on comprend quand même qu’il y a eu des injustices. Alors, après cette commission Vérité et réconciliation, quels sont les actes préconisés à poser à l’endroit. Je comprends par là compensation ou rétrocession. Quelles sont les concessions à faire?
Réponse – Les gouvernements se sont entendus. Il faut continuer dans le sens de se tendre la main, de s’appuyer, de s’épauler, de se protéger les uns des autres. Mais ça va se faire de multiples façons. C’est ce que je peux répondre le mieux. Je ne suis pas un spécialiste de la commission Vérité et réconciliation.
Mgr Dorylas Moreau
Fin de la conférence.