Nous reproduisons ici une entrevue publiée dans le bulletin En mission du Centre missionnaire oblat (CMO), vol. 6, no 2, mai 2017, p. 7-8.
Entrevue réalisée par Eduardo Malpica, coordonnateur des communications au CMO. Elle a été révisée et condensée.
Melissa Mollen Dupuis est Innue et originaire d’Ekuanitshit sur la Côte-Nord. Engagée dans le milieu culturel et communautaire autochtone, elle a cofondé en 2012 la section québécoise d’Idle No More (Fini l’apathie). Le but : rompre avec la torpeur et la passivité ambiantes en posant des actions concrètes face aux politiques gouvernementales fédérales. Très active dans ses débuts, la « mouvance » est
aujourd’hui dans l’attente. « À cette époque-là, on a semé des graines. Aujourd’hui, on attend les arbres, ensuite les fruits », affirme-t-elle.
D’après votre expérience, comment définissez-vous la notion de solidarité et d’engagement? Pourquoi s’engager aujourd’hui?
Je pense que s’engager n’a jamais été autant nécessaire que maintenant. Cela vient du fait que les gens de la communauté dans un sens large n’ont jamais été aussi séparés. On a une tendance à se diviser par nos opinions politiques, nos goûts, etc. Même au niveau des réseaux sociaux, on crée des groupes avec des personnes qui ont les mêmes opinions, alors qu’une communauté n’est pas créée seulement de gens qui ont uniquement la même histoire, ou les mêmes opinions, la même origine ethnique, la même identité. Cette solidarité est par conséquent le besoin de reconnaître qu’une communauté n’est jamais homogène, mais, malgré cela, ses membres travaillent, vivent ensemble et créent la société dans laquelle ils sont ensemble.
Comment avez-vous fait pour mobiliser des gens au Québec?
La problématique du mouvement Idle No More vient du Canada anglais, mais en tant qu’Autochtone, on n’a pas choisi qui nous colonisait à l’époque. On sait bien que la colonisation s’est faite par les Français ici et, dans le reste du Canada, par les Anglais. Cela a malheureusement causé une séparation linguistique entre groupes autochtones. Alors, ce qui se passait dans les communautés dans l’ouest avait de la difficulté à se rendre dans les communautés francophones. Nous avons donc commencé par traduire des textes, informer et renseigner les Autochtones sur la direction que prenait la mouvance.
Cela a été aussi fait avec les non-Autochtones. Nous suivons ainsi l’idée de réconciliation issue de la Commission Vérité et Réconciliation (2015) : informer les deux communautés au moyen de l’éducation populaire. Nous avons commencé par une question : « Est-ce que vous connaissez les onze nations? » Personne ne les connaissait. On associait les Autochtones à des images du passé. Dans ce contexte, l’éducation populaire a permis de connaître les onze nations. On les a aussi informés sur les politiques d’assimilation. Ils répondaient : « J’ignorais que les pensionnats ont été faits à mon nom. » Ils ne savaient même pas qu’ils ont existé! Nous avons ainsi pu discuter de colonisation et de racisme systémique.
En ce qui concerne les moyens de mobilisation, qu’est-ce qui distingue Idle No More d’autres groupes sociaux?
Nous ne sommes pas un groupe organisé au même titre qu’une organisation sociale ou politique. Nous sommes plutôt une mouvance. On a voulu garder cette forme-là chez Idle No More – Québec. Il y a déjà des politiciens autochtones dans les questions autochtones et des activistes qui font beaucoup de travail de terrain, mais il manquait la flexibilité de pouvoir agir rapidement de façon consensuelle et démocratique entre les membres sans avoir à se préoccuper des structures politiques ou encore de payer des loyers pour des locaux. Cela nous donne la possibilité de nous prononcer sur la scène publique au moyen de la mobilisation et par la revendication de la justice de base, tout en gardant une structure non-raciste, anticolonialiste et pour la justice sociale dans la mobilisation pacifique. Aussi, on s’est réapproprié des modes de communication. Avant, pour attirer l’attention des médias, il fallait bloquer des routes et des ponts, mais aujourd’hui grâce à Facebook et Twitter, on s’est organisé de façon consentie d’un océan à l’autre.
Quelles sont les revendications que vous mettez de l’avant actuellement?
Premièrement, la protection de l’eau face aux sables bitumineux. Les droits des femmes autochtones, aussi. Présentement, il y a la commission d’enquête sur les femmes autochtones disparues et assassinées qui est entamée. L’accès à l’éducation pour les enfants autochtones dans les communautés est également revendiqué. Ce sont là des droits humains de base, c’est-à-dire qu’on soit Autochtone ou non-Autochtone, il s’agit des droits dont nous tous devons jouir au Canada, mais malheureusement, quand tu es Autochtone, tu fais partie des premiers groupes dont ces droits sont brimés. D’autre part, on s’oppose à l’extractivisme canadien ici et ailleurs dans le monde. L’exploitation des ressources naturelles n’est définitivement pas la manne. On voit souvent que ce sont les communautés pauvres et vulnérables qui en souffrent les premiers ici comme ailleurs. Il est donc question d’une solidarité entre êtres humains que nous devons également pratiquer.