Aller au contenu Aller à la barre latérale Atteindre le pied de page

Là où est l’amour

Témoignage de Mme Raymonde Haché

Durant mon enfance et mon adolescence, l’idée de devenir missionnaire ne m’attirait pas du tout. Pour moi, cela signifiait d’aller travailler dans des pays chauds et j’avais de la difficulté à supporter la chaleur excessive.

Voilà qu’un jour de juillet 1977, une de mes amies, Pauline Charest, m’interroge en disant : « Veux-tu être missionnaire? » Je lui réponds : « Moi, pas question, je ne veux pas aller me faire griller au soleil. » Elle réplique : « Je te parle du Nord! Je te vois bien dans ce coin du Québec. » Ma réaction fut : « J’y penserai et je te donnerai une réponse en décembre. »

C’est alors que je me suis mise à m’interroger et à rêver à la possibilité d’aller vivre avec les Inuits et de connaître une autre culture… Je me suis aperçue que mon milieu familial m’avait formée dans ce sens. Née dans une famille chrétienne, j’allais à la messe chaque dimanche et je vivais l’Évangile. Étant la troisième de huit enfants, j’habitais dans un laboratoire où j’expérimentais comment vivre la charité, le partage, le pardon et l’adaptation. J’avais aussi le goût de vivre des dépassements, comme à la J.E.C. (Jeunesse étudiante catholique) où j’ai appris à regarder mon milieu en essayant d’aider ceux et celles qui étaient dans le besoin.

Mon désir profond était de vivre la charité. Pour répondre à cet appel intérieur, je suis entrée en 1963 dans l’Institut séculier, les Oblates missionnaires de Marie immaculée.

Comme je l’ai mentionné, je ne voulais pas être missionnaire. Je me suis aperçue que ma perception de ce mode de vie était fausse. J’ai réfléchi et prié. Un discernement m’a aidée à découvrir le sens de être missionnaire. C’est vivre l’amour que Dieu me donne; c’est accepter d’être aimée de Dieu; c’est devenir une présence et une réponse à cet amour.

Je ne connaissais pas les Inuits, mais plus je parlais de mon projet avec mes amis, plus je me voyais avec eux. Plus j’y pensais, plus j’étais heureuse. À ce moment-là, j’enseignais déjà depuis 8 ans dans la région de Rouyn-Noranda. Les gens me connaissaient et m’encourageaient à relever ce défi. C’est ainsi qu’en août 1978, je partais pour mon premier séjour dans un village au Nunavik, Quartaq, où j’ai vécu de grandes joies. J’enseignais toutes les matières en français de la première année primaire. Les enfants apprenaient bien, les parents étaient contents, et je me sentais acceptée. Nous formions comme une grande famille. Tout était si simple, j’aimais bien ce genre de vie.

En 1980, la Commission Scolaire Kativik a changé sa politique en matière de langues. L’enseignement du français aux Inuits commencerait en troisième année. J’ai dû déménager à Kuujjuarapik. Dans ce nouveau village, j’enseignais aux Inuits débutant en langue seconde, tout en m’occupant de la mission catholique, comme agente de pastorale bénévole. Mon rôle consistait à rassembler les gens pour la célébration de la Parole chaque dimanche. Je répondais aux besoins des personnes au niveau pastoral : des visites familiales et l’enseignement de la catéchèse à l’école. Aussi, quand je rencontrais une personne, je lui souriais et parfois je me disais, c’est peut-être le seul sourire qu’elle recevra dans sa journée. Comme le semeur de l’Évangile, (Marc 4, 1-29), je semais à tout vent une bonne parole ou je posais un geste gratuit.

Après 5 ans à Kuujjuarapik, je prenais une année sabbatique. Le père Joseph Baril, o.m.i., missionnaire itinérant au Nunavik, m’a dit qu’à Inujjuaq, il y avait des catholiques qui m’attendaient. Nous avons prié ce projet et j’ai senti que j’étais appelée à aller enseigner à Inujjuaq. J’ai demandé un transfert à la Commission Scolaire Kativik, car je désirais aussi retourner dans un plus petit village où je pourrais connaître davantage les Inuit.

Aucun prêtre catholique n’avait résidé dans ce village auparavant : ce qui signifiait qu’aucun immeuble n’appartenait à la mission catholique. Toutes les rencontres se faisaient chez moi, dans ma maison. Lors de la visite du missionnaire, quand je prévoyais plus de 20 personnes à la célébration eucharistique, nous allions à la mission anglicane où le pasteur était toujours heureux de nous accueillir. De plus, j’avais chez moi le Saint-Sacrement pour le besoin des gens. Je pouvais en profiter pour communier quotidiennement et prier devant la sainte réserve. C’était une de mes grandes joies.

Pourquoi est-ce que je continuais à vivre au Nord québécois? J’ai toujours saisi que ma mission m’appelait à être une présence du Seigneur. Nous sommes d’ailleurs chacun et chacune présence de Dieu. Je suis restée au Nunavik de 1978 à 2000. Durant toutes ces années, les Inuits m’ont toujours aidée et je les aime beaucoup.

Depuis juin 2000, je me suis retirée de l’enseignement. J’ai écrit la biographie du père Jules Dion, o.m.i., missionnaire à Kangirsujuaq, Jules Dion, cinquante ans au-dessous de zéro. Pour bien me documenter, j’ai rencontré ce missionnaire à maintes reprises. Cette expérience me ramenait au Nord tout en me permettant de m’intégrer au Sud1, en douceur. J’avais le goût d’y retourner, mais je savais que je devais m’habituer à vivre dans mon nouveau milieu à l’Ancienne-Lorette (Québec).

Le 23 juin 2006, à la demande de Mgr Douglas Crosby, o.m.i., évêque du diocèse Labrador City-Schefferville et de St. Georges, Terre-Neuve, je suis retournée au Nunavik. Mon engagement comme directrice de la vie paroissiale à la mission Notre Dame de Fatima est d’apporter un soin pastoral aux gens de Kuujjuaq.

Pourquoi suis-je retournée? Parce que j’aime ça. J’aime les Inuits. J’aime les gens qui vont y assurer un service, par exemple dans les domaines de l’enseignement, de la santé, etc. J’aime le milieu, un milieu où je peux vivre dans la simplicité et être moi-même. Je m’occupe de tout : célébration de la Parole, partage biblique, femme de ménage, cuisinière, secrétaire, pelleteuse de neige, etc. Former des leaders et avec eux, bâtir une communauté vivante sont là mes principales responsabilités! Les gens sont conscients de la nécessité d’avoir quelqu’un responsable d’assurer le ministère.

Un autre projet paroissial intéressant pointe dans ce sens. Comme je n’aime pas prendre seule les décisions concernant surtout les affaires matérielles, j’ai demandé aux gens s’ils étaient intéressés par l’idée de former un comité. Ensemble, nous établissons les critères sur tout ce qui regarde le bien commun à la mission catholique.

De plus, chaque année, les membres de la communauté organisent un bazar afin de défrayer les coûts reliés à la mission, surtout le prix de l’huile (1,42 $/le litre). Cette activité permet de rejoindre beaucoup de personnes. Chaque jeudi de l’année, des bénévoles se rencontrent en vue de préparer l’artisanat qui sera vendu au bazar. La foi se manifeste dans cet événement paroissial. C’est vivifiant de voir ces gens mettre leurs talents, leurs aptitudes et leur créativité au service de la communauté. Un projet apporté devient le projet du groupe. Tous travaillent joyeusement à le réaliser selon leur compétence et leur disponibilité.

Le dernier dimanche de chaque mois, un « potluck », repas communautaire, rassemble les personnes désireuses de fraterniser. À cette occasion, nous avons la joie d’accueillir le père Jules Dion, o.m.i. qui nous arrive de Kangirsujuaq, par avion. Ce missionnaire chevronné du Nunavik depuis 51 ans vient rencontrer les gens et nous fait bénéficier des sacrements. Je profite aussi de sa sagesse et de son expertise auprès des gens du milieu pour enrichir mes connaissances.

Mes séjours à Kuujjuaq s’étalent sur des périodes d’environ 3 mois. C’est court, me direz-vous? Oui, mais je me respecte aussi en ce sens. Ma mission se poursuit dans mon milieu de vie auprès de ma famille, de mon équipe oblate, de mes amis, etc. J’ai besoin d’un temps de vacances comme tout le monde. En mon absence, des membres de la communauté chrétienne se chargent de maintenir la vie paroissiale. Mes temps d’arrêt leur permet de se prendre en mains. C’est bien agréable et valorisant de constater : que les célébrations de la Parole continuent chaque dimanche; que les parents offrent la catéchèse aux enfants; que les repas communautaires ont lieu, en somme ces activités et ces rencontres favorisent leur ressourcement. Je trouve cela gratifiant. Pour moi, c’est un des fruits de ma présence parmi eux. Ces gens me donnent de l’entrain et me font du bien. Je continue à semer…

Comme vous l’avez sûrement constaté, mon engagement se vit au jour le jour dans les événements de la vie, tels qu’ils se révèlent. J’essaie de m’adapter et d’accueillir chaque personne qui se présente et d’être attentive aux besoins de ce milieu. L’appui de chaque membre de la communauté paroissiale est important pour moi.

Combien de temps vais-je demeurer à Kuujjuaq? Je n’ai pas fixé de limites, sachant très bien que la Providence continue de pourvoir aux besoins de cette population. Je rends grâce à l’Esprit Saint de m’aider à répondre à cet appel particulier pour le Nunavik.

Laisser un commentaire

0.0/5