Pour Pâques et à l’occasion de l’arrivée au Canada de réfugiés ukrainiens, Darla Sloan, pasteure de l’Église Unie Saint-Pierre et Pinguet à Québec, livre l’histoire de ses arrière-grands-parents, arrivés dans l’Ouest en 1889. Issus de l’immigration, ils se sont installés sur une parcelle de terre pour y vivre. Une terre autrefois occupée par les Premiers Peuples, elle l’a appris bien plus tard...
Alors, devant le SEIGNEUR ton Dieu tu prendras la parole :
« Le SEIGNEUR nous a fait sortir d’Égypte par sa main forte et son bras étendu,
par une grande terreur, par des signes et des prodiges;
il nous a fait arriver en ce lieu et il nous a donné ce pays, un pays ruisselant de lait et de miel.
Et maintenant, voici que j’apporte les prémices des fruits du sol que tu m’as donné, SEIGNEUR. »
Tu les déposeras devant le SEIGNEUR ton Dieu, tu te prosterneras devant le SEIGNEUR ton Dieu
et, pour tout le bonheur que le SEIGNEUR ton Dieu t’a donné, à toi et à ta maison,
tu seras dans la joie avec le lévite et l’émigré qui sont au milieu de toi. »
(Deutéronome 26, 5.8-9)
Mes arrière-grands-parents paternels, Wasyl et Maria Boychuk, sont arrivés en Saskatchewan en 1889. Ils se sont installés sur une terre fertile. Aujourd’hui, les champs de colza rappellent le drapeau de leur pays natal.
Wasyl, Maria et leurs descendants ont travaillé fort. Ils n’étaient pas riches, mais ils ont toujours eu plus que le strict nécessaire. Mon arrière-grand-père a même fait don d’une parcelle de terre sur laquelle on a édifié une petite église orthodoxe et, tout à côté, un cimetière où mes aïeux reposent en paix. Un cairn y a été érigé en 2002, lors du 100e anniversaire de la paroisse pour honorer la mémoire des pierres vivantes. Et, cet été, des centaines de personnes sont attendues pour souligner le 120e.
L’autre jour, j’échangeais avec mon père au téléphone et il me disait à quel point il était reconnaissant que ses grands-parents aient choisi d’émigrer au Canada. Il se sent béni de n’avoir jamais connu ni la guerre ni la famine. Notre famille a toujours vécu dans l’abondance et la paix. Pour me souvenir de la terre de mes ancêtres, j’ai plein de photos de retrouvailles familiales heureuses.
Mais ces photos ne racontent pas tout, je le sais. J’ai fait une recherche sur le site Native Land. L’ancienne ferme de Wasyl et de Maria (et celles de leurs compatriotes) se trouvait sur les terres ancestrales des Michif Piyii (Métis), des Anishinabewaki et des Očhéthi Šakówiŋ. Je ne connaissais rien de ces nations. Quand j’étais petite, ce que l’on nous enseignait sur l’histoire des Indiens se résumait à quelques lignes dans des livres d’histoire et à beaucoup de préjugés que je n’oserais répéter ici. Ce n’est que des décennies plus tard que j’ai entendu pour la première fois une autre version de l’histoire de l’arrivée des immigrants dans l’Ouest – semblable à celle de l’arrivée des colons ailleurs au Canada et au Québec. Et cette histoire-là, nous le savons, est beaucoup moins heureuse. Pour les Premières Nations, l’arrivée des immigrants s’est transformée en cauchemar. (Les Cananéens devaient se raconter une tout autre version de l’histoire de l’arrivée des Israélites que celle qu’on trouve dans le Deutéronome.)
Mes arrière-grands-parents ne sont pas directement coupables des horreurs qu’ont subies les Premières Nations. Mais moi, je reconnais que j’ai une certaine responsabilité : celle de faire tout mon possible pour que l’histoire ne se répète pas. Je veux œuvrer pour la réconciliation. Je veux vivre ma foi d’une façon qui est vraiment agréable à Dieu. Mais je ne sais pas ce que je peux faire. Et, honnêtement, cette situation me rend mal à l’aise. J’aimerais passer à l’action.
Pourtant, peut-être que l’une des erreurs du passé à ne pas répéter, c’est justement celle d’agir trop vite, de penser qu’on a LA solution qui nous permettra d’être à l’aise, d’être bien. Alors, j’essaie d’apprendre à vivre avec mon malaise et de demander à Dieu de m’éclairer. Je fouille, je cherche, je lis, je m’informe et je prie que le Seigneur ouvre le chemin de la réconciliation devant mes pas.
Une dizaine de jours avant l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe, une cinquantaine de tombes anonymes ont été découvertes sur le site de l’ancien pensionnat Fort Pelley, à une cinquantaine de kilomètres au nord-est de l’ancienne ferme de mes arrière- grands-parents.
Cette année, nous fêterons Pâques alors que le Canada et le Québec se préparent à accueillir une nouvelle vague d’immigrants ukrainiens. Pâques, fête de la résurrection. La vie est plus forte que les forces du mal et de la mort ! Pour qui met sa foi en Jésus Christ, l’aube d’une vie nouvelle point à l’horizon. Promesse que, par la grâce de Dieu, nous ne sommes pas condamnés à répéter les erreurs du passé. Ensemble, nous écrirons une nouvelle page d’histoire.
En pensant à Wasyl, à Maria et à tous les autres, je prie : Seigneur, s’il y a de nouveaux arrivants qui s’établissent dans la région où mes ancêtres se sont établis, que les champs de colza leur soient une source de réconfort, évoquant le doux souvenir de leur pays d’origine et la promesse qu’ils se sentiront bientôt chez eux en cette terre d’accueil. Puissent tous les nouveaux arrivants vivre ici dans l’abondance et la paix comme mes arrière-grands-parents et leurs descendants, mais avec un réel respect pour les premiers peuples et une meilleure compréhension de leur histoire et de leur culture. Puissions-nous toutes et tous œuvrer pour la paix et la réconciliation entre tous les peuples, de sorte que toutes les familles se réjouissent des bienfaits que le Seigneur, notre Dieu, nous a accordés.

Darla Sloan est née à Régina en Saskatchewan et a grandi en banlieue de Vancouver. Comme beaucoup de jeunes de l’Ouest à son époque, Darla a fait de l’immersion française au secondaire. C’est lors d’un échange étudiant qu’elle a eu la « piqûre » du Québec. Elle s’installe à Québec en 1991 où elle a fait des études en linguistique à l’Université Laval avant d’entamer des études en théologie à McGill et au Séminaire uni à Montréal. Elle a été consacrée pasteure en 2001. Présentement, elle est pasteure de l’Église Unie Saint-Pierre et Pinguet dans la grande région de Québec.
1 Commentaire
Roger Labbé
Les propos de Darla me rejoignent en ce sens que je suis aussi tenté de poser des gestes en vue de la réconciliation avec les peuples autochtones. Moi aussi je cherche et je souhaite de tout mon cœur que dans l’avenir nous puissions faire l’histoire de nos deux peuples en ayant à cœur de faire le vérité et de découvrir ensemble la manière de continuer la route en se donnant la main. D’autre part je souhaite que notre pays soit une terre d’accueil pour les. personnes qui fuient la guerre en Ukraine. Que le gouvernement canadien facilite leur entrée en notre pays et qu’il soutienne les gens de chez nous qui favoriseront un vivre-ensemble harmonieux en leur compagnie
Roger Labbé Québec