Les 30 mai et 1er juin derniers se tenait à Québec le Forum de réconciliation communautaire, sous l’égide du Centre de justice réparatrice du lieu1. J’y participais en tant que personne intéressée, mais également en tant que témoin de la session Retour à l’esprit que j’ai vécue à l’automne 2018.
Le Forum s’est ouvert sur une conférence publique de Pierre Picard, Huron-Wendat, à propos du concept de la « sécurisation culturelle ». Et le lendemain, des activités tout aussi captivantes étaient à l’ordre du jour de la matinée, suivies par des ateliers de conscientisation dans l’après-midi dont celui sur le Retour à l’esprit où j’étais intervenant.
La conférence de Pierre Picard me paraît une occasion assez unique de se faire une véritable idée de l’histoire vécue par les gens des Premières Nations et des communautés inuites. Orateur passionné, le sexologue de formation a surtout œuvré auprès des populations autochtones, en particulier avec des agresseurs sexuels, souvent en contexte de détention. Depuis l’épisode médiatique relatant les témoignages de femmes autochtones abusées et agressées par des policiers dans la région de Val-d’Or, son agenda s’est mis à se remplir de manière inattendue. En effet, des médecins, des infirmières, des policiers et d’autres groupes se sont mis à le réclamer pour qu’il leur communique « la bonne manière » d’entrer en relation avec les autochtones, réputés pour leur silence, leur difficulté à communiquer et à faire confiance aux Blancs.
Pierre Picard utilise le concept de « sécurisation culturelle » dont l’origine vient de Nouvelle-Zélande. Dans les années 1980, l’infirmière et chercheuse d’origine maorie Irihapeti Ramsden s’est heurtée à la difficulté d’offrir des services et des soins de santé aux autochtones. Ceux-ci les boudaient ou les refusaient. Elle a donc outillé les professionnels de la santé pour qu’ils soient en mesure de prodiguer des soins « sécuritaires culturellement » et ainsi réduire les disparités entre Maoris et allochtones. Pierre Picard reconnaît l’origine du concept tout en affirmant qu’il l’a adapté pour les populations autochtones du Québec.
C’est ainsi qu’il présente un continuum d’attitudes culturelles de la part des Blancs ou allochtones lorsqu’ils sont en position d’offrir des services à des personnes issues des Premières Nations ou des communautés inuites. Ce continuum se déploie par le biais de cinq attitudes ou postures qu’il nomme de la manière suivante :
- Les « Inconscients culturels » : ils constituent la majorité des Québécois qui n’ont eu que très peu de contacts avec les populations autochtones et sont parfois contaminés par les préjugés. Les « inconscients » ne voient pas en quoi leur attitude ferait partie du problème. Pour eux, c’est aux autochtones qu’il revient de s’adapter.
- Les « Conscients culturels » : à la différence des premiers, ceux-ci arrivent à percevoir qu’il y a « quelque chose » de différent chez les autochtones, sans toutefois changer quoi que ce soit à leur posture.
- Les « Sensibles culturels » : ce sont des gens qui sont capables d’empathie à l’endroit des autochtones, sans doute aussi pour d’autres cultures. Cette sensibilité interculturelle s’accompagne souvent d’efforts accomplis de bonne foi, mais avec des résultats souvent insatisfaisants, faute de compétence.
- Les « Compétents culturels » : il s’agit de personnes qui se soucient de mettre en œuvre des attitudes d’ouverture et de respect. Ils ont suffisamment de connaissances des cultures autochtones, en particulier des différences entres nomades et sédentaires, pour savoir adapter leurs interventions en conséquence.
- Les « Sécuritaires culturels » : plus rares, ceux-là vont parvenir à associer des moyens efficaces pour tenir compte des cultures autochtones tout en développant une plus grande mutualité. N’ayant rien à craindre pour leur propre identité, ils savent plonger dans la culture de l’autre pour mieux apprendre de lui et s’ajuster à sa manière d’être.
- Pour la blague, Pierre Picard ajoute les « Indian Lovers ». Ceux-là ne font pas mieux, en fin de compte, que les « inconscients »!
C’était la deuxième fois que j’entendais Pierre Picard. Il a le don de raconter en quelques minutes, et de manière captivante, de grands pans de l’histoire de nos relations avec les premiers habitants depuis la cohabitation plus ou moins harmonieuse d’avant la Conquête jusqu’à la fin des pensionnats autochtones. Lorsqu’il introduit le concept de sécurisation culturelle, nous, Blancs ou allochtones, devenons plus ouverts à connaître le chemin qui peut nous mener jusqu’aux autochtones. C’est l’effet que produit cette conférence, un peu comme une initiation.
Maintenant, revenons aux objectifs du Forum de réconciliation communautaire. En 2017 et 2018, les Oblats de Marie immaculée avaient été les grands porteurs de ces rencontres entre les premiers habitants du territoire et tous les « immigrants » et leurs descendants depuis 400 ans. Le Centre de justice réparatrice a voulu prendre la relève cette année. Mais la participation s’est avérée bien décevante, surtout au regard de l’objectif poursuivi.
En effet, comme l’a toujours dit mon père (qui nous faisait nous agenouiller un frère face à l’autre) : « Pour se réconcilier, il faut être deux. Quand vous serez prêts à vous pardonner, alors vous pourrez vous lever! » Il n’y avait pas d’autochtones présents à ce forum, hormis une petite poignée qui y était à titre d’intervenants. Il n’y avait pas non plus foule d’allochtones!
C’est à se demander si le temps est vraiment mûr pour la réconciliation. Combien de conférences Pierre Picard devra-t-il donner encore pour sensibiliser les allochtones à la réalité culturelle des autochtones? Combien de sessions Retour à l’esprit ou d’Exercices des couvertures faudra-t-il répéter avant que de vraies rencontres de réconciliation puissent se vivre?
À la fin de ce forum, ma quête demeure insatisfaite. Je suis disposé à la rencontre, au prix de la reconnaissance d’une complicité du mal fait par « ceux de ma race ». Mais ni de la part de mes congénères ni de la part des autochtones, je ne perçois encore l’horizon du grand rassemblement où nous pourrons, réconciliés, danser ensemble sous le soleil.

Jocelyn Girard publie des articles dans plusieurs médias. Titulaire d’un doctorat en théologie, il pousse sa quête de réexpression de la foi dans un contexte culturel devenu moins perméable aux inspirations chrétiennes. Avec sa famille, il a vécu dans deux communautés de L’Arche, en France et à Montréal, son couple ayant adopté cinq enfants dont deux présentant une déficience intellectuelle. Après 10 ans de service au diocèse de Chicoutimi, il œuvre dans le monde des technologies de l’information, d’où il espère contribuer à l’éveil des solidarités vitales pour l’avenir de l’humanité.