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La rivière du serpent, Kabir Kouba, à Wendake

« Est-il vrai qu’il est de tradition parmi les Hurons de Lorette, que leur village restera stationnaire n’augmentant ni ne diminuant, parce qu’un énorme serpent se baigne toutes les nuits dans la rivière où nous sommes et dont vous buvez l’eau? » (Aubert de Gaspé, 1924, p. 100)

À la hauteur de la chute Kabir Kouba1 à Québec, la rivière Akiawenrahk (Saint-Charles) se déchaîne! Ce lieu naturel impressionnant est indissociable du paysage de Wendake et de la culture des Hurons-Wendats. Il est possible d’apprécier l’endroit sous plusieurs angles, tant du côté de la légende, de la géologie, de l’exploitation humaine que de l’expression artistique. En voici ici un bref résumé.

La légende du Grand Serpent

La forme tortueuse et le grondement de la chute ont donné lieu à la légende du Grand Serpent. Il existe naturellement plusieurs variantes de cette légende orale de Kabir Kouba, la rivière aux cent détours (voir notamment Dorion et Lahoud, 2009, 181-183). La brochure Parc de la falaise et de la chute Kabir Kouba. Guide d’interprétation présente pour sa part cette version :

Après une longue migration s’échelonnant sur près de 50 ans, les Hurons s’installèrent définitivement en 1697 sur le territoire aujourd’hui occupé par la réserve huronne de Wendake.

À leur arrivée, ils prirent possession de quelques arpents de terre et délimitèrent les frontières de leur village. Malheureusement, les Amérindiens et les colons de la région ne réussirent pas à s’entendre sur l’emplacement de la borne ouest de la réserve. On argumenta, vociféra en vain : les conflits persistèrent.

Ayant eu vent de la mésentente qui régnait au village, le Grand Serpent qui dormait dans les Laurentides depuis des années décida qu’il était temps d’y mettre fin. Il se fraya un chemin à travers les montagnes en écrasant les arbres sur son passage et descendit jusqu’au village huron de Wendake.

Les Hurons, béats de stupéfaction, regardèrent le reptile et tremblèrent de frayeur. Ce reptile avait une longue crinière et, quand il la secouait, il en sortait des flammèches qui couvraient la peau et brillaient comme des lames d’or frappées par les vifs rayons d’un beau soleil de midi.

D’un puissant coup de queue, le Grand Serpent fit lever le sol de plusieurs mètres et gronda de colère contre ceux qui, jusque-là, n’étaient pas arrivés à s’entendre : « Il a fallu que je vienne et que je tranche la question moi-même. Dorénavant, je serai votre frontière et je gronderai sans arrêt pour que jamais plus vous n’oubliiez ma présence! »

Sur ces mots, le serpent se transforma en une rivière houleuse aux nombreux détours sous l’œil abasourdi des hommes et des femmes du village. La chute se mit à gronder, faisant rouler des flots agités sur son imposant lit de roc. Depuis lors, jamais plus les habitants n’oublièrent la présence du Grand Serpent près de leur réserve. (1991, p. 3)

Potentiel géologique, hydraulique et botanique

Le site est un lieu scientifique indéniable, puisqu’il est créé par la rencontre de deux provinces géologiques. S’y côtoient des roches de Grenville datant de l’âge précambrien (de 800 millions à 1 milliard d’années) et des roches des Basses-Terres du Saint-Laurent (datant de 450 millions d’années). On retrouve dans le calcaire des Basses-Terres des fossiles d’animaux ayant vécu dans les mers ordoviciennes2.

Il est également possible d’y observer le phénomène d’érosion par la formation de marmites3 dans la rivière et, près de son lit, de gros rochers de gneiss précambrien laissé par l’avancée des glaciers vers le sud.

Naturellement, ce fort débit d’eau a rapidement suscité l’intérêt hydraulique. Dès le XVIIIe siècle, vers 1731-1732, les jésuites érigent un premier moulin à farine dans le haut de la chute, sur la rive est. Le site verra par la suite s’installer un moulin à scie et un moulin à papier. Et au XXe siècle, il accueille une petite centrale électrique4 dont les vestiges sont encore visibles.

Zacharie Vincent, Les Chutes de Lorette, v. 1860, Huile sur carton, 48 x 60,6 cm, Musée de la civilisation, Québec. On y voit notamment l’emplacement des moulins à farine et à papier le long de la chute.

Les Hurons-Wendats profitent également du site pour sa richesse en pharmacopée populaire et en aliments pour le garde-manger.

L’endroit est pittoresque et chargé d’histoire. Il a vu plusieurs visiteurs de marque au fil des années, dont le célèbre botaniste suédois Peter Kalm (1716-1779) lors de son voyage en Amérique du Nord en 1749. En plus d’inspirer poètes et peintres, comme Pamphile Lemay (1837-1918), George Heriot (1759-1839), Zacharie Vincent (1815-1886), Joseph Légaré (1795-1855), Charles Huot (1855-1930), Cornelius Krieghoff (1815-1872) et j’en passe5!

À leurs suites, Kabir Kouba mérite que vous alliez faire une balade dans ses sentiers aménagés lors de votre prochain arrêt à Wendake.

Photo: Fred C. Würtele, Wendake, Moulin Reid à la chute de la rivière Saint-Charles (Kabir Kouba), v. 1900, P546.D6.P38, BANQ Québec.

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1. On retrouve quelquefois l’orthographe Cabircoubat ou Cabir Coubat. La chute est également connue sous l’appellation « Sault Saint-Charles » et « chute de Lorette ».

2. Pour découvrir des exemples, voir le diorama de l’Ordovicien.

3. Forme circulaire sculptée par des cailloux prisonniers de la force centrifuge engendrée par le courant de l’eau.

4. Pour en connaître davantage sur la saga des moulins et l’aventure hydroélectrique, voir Jean, 1994, p. 5-24.

5. La chute a même eu droit à une chanson interprétée par Claire Pelletier, Kabir Kouba sur l’album Galileo en 2000. (https://palmaresadisq.ca/fr/artiste/claire-pelletier/album/galileo/)

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