À Percé, le long du littoral bordant la route qui encercle la Gaspésie, on peut admirer un étrange visage de pierre : celui d’un fier autochtone qui tourne le dos à la mer…
Le « paysage fortement personnalisé de Percé1 » a beaucoup à offrir le long du littoral de la pittoresque route 132 qui ceinture la Gaspésie. En plus de son célèbre rocher, un autre attrait rocheux attire l’attention : la tête de profil énigmatique d’un Indien2 sculptée dans la pierre par Dame Nature, située à Saint-Georges-de-Malbaie3 (Percé4).
Anthropomorphisme de l’absence sculpté par les éléments
Le territoire québécois offre beaucoup d’éléments visuels anthropomorphiques et les légendes où la belle attend le retour de son bien-aimé en vain en témoignent. « Et s’il ne revenait pas, ce qui était malheureusement souvent le cas, le temps faisait son œuvre et les pauvres belles se métamorphosaient en rocher, pour immortaliser leur attente et leur peine5.»
Si c’est généralement de jeunes filles qui espèrent en vain le retour de leur amoureux, il existe à Percé une version masculine de ce type de récit. Ce triste rocher prend la forme de la Tête d’Indien.
On raconte jadis6 que des hommes blancs venus d’Europe sur un grand voilier jetèrent l’ancre dans l’anse pour se ravitailler en eau douce et en petits fruits sauvages. Pendant leurs cueillettes, ils entendirent le chant envoûtant d’une femme. Pénétrant dans la forêt, ils virent une jeune et fort jolie Indienne7 occupée à divertir des enfants. Les marins malintentionnés, plus pirates qu’explorateurs8, la capturèrent et l’amenèrent avec eux dans leur pays lointain. On ne revit plus jamais la promise. Son amoureux, un courageux Indien, « constatant l’absence de la bien-aimée comme une triste et inéluctable réalité. La sachant aussi fidèle que lui, il attendit, attendit, attendit si longtemps que, lui aussi, comme tant d’amoureuses abandonnées, se métamorphosa en rocher9 ». Affligé à jamais, il tourne le dos à la mer qui a pris sa belle et fixe la falaise plutôt que l’horizon. D’humeur chagrine, l’homme de pierre laisse même couler une larme sur sa joue, car « le jeu des vagues invente tant de mirages que notre fidèle Indien savait sans doute que la mer, comme le désert, est marchande d’espoirs déçus10 ».
Comme l’érosion continue son œuvre sur cette roche sédimentaire, le temps aura-t-il raison de la légende de la Tête de l’Indien et de son drame figé dans la pierre ? Pour reprendre les mots du poète Sylvain Rivière : « Aujourd’hui encore, l’Indien est bien présent dans le paysage gaspésien même s’il est retourné se fondre au paysage, son allié naturel, témoin de tant de luttes séculaires pour assurer sa survie tout aussi précaire à l’échelle identitaire11.»
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1. Paul-Louis Martin et Gilles Rousseau, La Gaspésie de Miguasha à Percé. Itinéraire culturel, Québec, Librairie Beauchemin/Éditeur officiel du Québec, 1978, p. 164.
2. Une halte routière la voisine où il est possible de se stationner pour aller l’admirer.
3. « L’origine du toponyme Saint-Georges reste controversée comme c’est le cas pour plusieurs autres noms de hameau en Gaspésie. » Voir Raynald Murphy et Yvon Masse, Carnets de la Gaspésie, Saint-Lambert, Les Heures Bleues, 2014, p. 113.
4. Saint-Georges-de-Malbaie est une ancienne municipalité qui existait avant la fusion de la Ville de Percé, le 1er janvier 1971. Percé est l’une des premières villes fusionnées au Québec qui inclut Barachois, Belle-Anse, Bougainville, Cap-d’Espoir, Cannes-de-Roches, Coin-du-Banc, L’Anse-à-Beaufils, Pointe-Saint-Pierre, Rameau, Val-d’Espoir ainsi que Saint-Georges-de-Malbaie.
5. Henri Dorion et Pierre Lahoud, Lieux de légendes et de mystère du Québec, Montréal, Les Éditions de l’Homme, 2009, p. 72-74.
6. Ici, comme c’est le cas pour les légendes, plusieurs versions circulent, mais la trame générale demeure la même dans son essence.
7. Souvent identifiée comme Micmaque.
8. Dorion et Lahoud, op. cit., p. 75.
9. Ibid., p. 75.
10. Ibid., p. 75.
11. Sylvain Rivière, Gaspésie rebelle et insoumise, Outremont, Lanctôt Éditeur, 2000, p. 32.
Pour aller plus loin
- Henri Dorion et Pierre Lahoud, « La Tête d’Indien », Lieux de légendes et de mystère du Québec, Montréal, Les Éditions de l’Homme, 2009, p. 72-77.
- Paul-Louis Martin et Gilles Rousseau, « La géographie de Percé », La Gaspésie de Miguasha à Percé. Itinéraire culturel, Québec, Librairie Beauchemin/Éditeur officiel du Québec, 1978, p. 161-166.
- Raynald Murphy et Yvon Masse, « Saint-Georges-de-Malbaie », Carnets de la Gaspésie, Saint-Lambert, Les Heures Bleues, 2014, p. 113.
- Sylvain Rivière, « Gespegeoag (Gaspé) », Gaspésie rebelle et insoumise, Outremont, Lanctôt Éditeur, 2000, p. 25-32.
A

Pascal Huot est chercheur indépendant. Diplômé en études autochtones, il a également effectué une maîtrise en ethnologie à l’Université Laval. Celle-ci a fait l’objet d’une publication intitulée Tourisme culturel sur les traces de Pierre Perrault, Étude ethnologique à l’Île aux Coudres. Ses résultats de recherche ont paru dans divers journaux, magazines et revues. En 2016, il a fait paraître Ethnologue de terrain aux Éditions Charlevoix.