« Si la vie est un collier de coquillages, où se trouve le commencement? Sans doute dans le nœud qui relie les deux bouts. Mais il y a plusieurs bouts et plusieurs nœuds, car il y a des moments cassés, et ils ne sont pas tous faciles à rattacher. Tu veux savoir ce qu’est un Inuit? Avant lui, tout est éparpillé. Après lui, des os, des sculptures, des coquillages sont attachés solidement, et celui qui voit le collier se met à trembler… »
Ainsi débute le tout nouveau roman Le chant de la terre blanche de Jean Bédard, deuxième volet du Cycle des chants de la terre, publié aux éditions VLB Éditeur en 2015. Dans ce livre, Jean Bédard prête sa plume à Mikak, la première Inuite à s’inscrire par son nom dans les annales de l’histoire de la conquête. Ce récit « inspiré de l’histoire du frère morave Jens Haven, au XVIIIe siècle, et de Mikak, Inuite du Labrador parmi les premières à se rendre en Europe, […] retrace avec précision et intensité une part fondamentale de la colonisation du continent. » (La Presse, 16 novembre 2015)
Ce roman nous transporte, dès les premières pages au cœur d’une rencontre improbable, mais bien réelle : « Au loin se dessine un grand voilier : il amène un Danois venu se perdre dans la blancheur pour échapper à un sombre passé. Amusées, Mikak et sa famille le rebaptisent Jensigoak et l’adoptent comme l’un des leurs.
Bientôt, Mikak prendra le large à son tour, amenée par l’officier Francis Lucas et ses hommes jusqu’à la cour de la princesse Augusta, en Angleterre, où elle sera traitée comme une curiosité avant d’être renvoyée chez elle, à jamais transformée.
À son retour, elle aidera Jensigoak dans l’établissement de la première mission des Frères Moraves au Labrador. Mais la cohabitation improbable des deux cultures ne se fait pas sans dégâts : les traditions s’enchevêtrent et se confrontent irrémédiablement. » (quatrième de couverture)
D’une grande poésie, manié par la plume superbe de l’auteur, le roman de Jean Bédard, en empruntant le point de vue de Mikak, nous fait découvrir la sagesse des premiers peuples et met en lumière le drame qui se joue entre deux cultures éloignées l’une de l’autre. Les Frères Moraves n’arrivent pas en conquérant : ils veulent surtout se convertir eux-mêmes, se « renaturer » au contact des premiers peuples. Mais seul Jens Haven saura faire preuve d’écoute, malgré les bonnes intentions de tous…
Ce roman fascinant, qui se veut le miroir de notre propre culture et de nos propres échecs, réaffirmera tout de même l’espoir d’une réelle ouverture à l’autre, et l’importance de puiser à la richesse d’une vision du monde qui a été à l’origine de la véritable Amérique. À lire sans faute.
« Les Frères peuvent passer, dit-elle, nous les aimerons autant que le reste. Nous sommes en paix entre les omoplates de nos grands-pères. Le feu de nos lampes à graisse frétille comme du poisson de rivière. Dans mille ans, on marchera encore sur un manteau de neige dans un ciel de couleurs. »
Jean Bédard, docteur en philosophie, enseigne le travail social à l’Université du Québec à Rimouski. Lauréat du prix Ringuet de l’Académie des lettres du Québec pour Marguerite Porète, l’inspiration de Maître Eckhart (VLB Éditeur, 2012), il signe ici son dixième roman.