Image en bandeau : la chapelle de Tadoussac | Photo : Pascal Huot
Le père Jean-Baptiste de La Brosse est un personnage historique plus grand que nature, allant même jusqu’à s’inscrire dans la légende.
Homme de foi au parcours de vie extraordinaire et atypique, le jésuite laisse un héritage pédagogique déterminant, « complétement dévoué aux Indiens et à leur émancipation. Avant tout, son ambition était de les alphabétiser1 ». C’est au contact des Montagnais (Innus) de la Côte-Nord que l’œuvre majeure de sa vie commence. Afin de faire son apostolat en implantant la religion catholique chez les Innus, il est déterminé à respecter leur langue. Cela aura pour effet d’en faire un linguiste incontournable! Comme tant d’hommes dans l’histoire du Canada français, sa personnalité et son dynamisme font impression auprès des siens.
Forte personnalité
Né à Maignac, en France, le 30 avril 1724, Jean-Baptiste est le fils de Jean de La Brosse, seigneur, et de Louise Dubois-Cuvier. Il fait ses classes d’abord auprès des Jésuites d’Angoulême avant d’entrer au noviciat chez les Jésuites à Bordeaux en 1740. Après trois ans de théologie, il est ordonné prêtre le 2 février 1753. « Au terme de ses études, âgé de 29 ans, le Père de la Brosse est voué à une carrière apostolique des plus fructueuses et ses supérieurs le destinent aux missions du Canada2. » Il embarque pour la Nouvelle-France en 1754, où une vie d’aventures apostoliques l’attend.
Il voyage beaucoup sur sa nouvelle terre d’accueil, dont voici quelques haltes marquantes. Après un bref séjour à Québec, le père de La Brosse se rend en Acadie pour évangéliser les Malécites (Wolastoqiyik), les Abénakis et les Acadiens auprès du père Charles Germain (1707-1779). Le missionnaire prend position lors de la déportation des Acadiens en 1755, les enjoignant à fuir dans les bois. Il échappe lui-même de justesse à une rafle des Anglais en mars 1756. De retour à Québec pour un bref séjour, il repart ensuite chez les Abénakis de Saint-François-de-Sale (Odanak). L’homme d’action est du détachement d’Abénakis qui se rend au siège de Québec en juillet 1759. Fait prisonnier à Neuville, il est libéré le lendemain. Par la suite, après un temps au service de la paroisse de Saint-Henri-de-Mascouche jusqu’en 1766, il reprend l’aventure et on retrouve le missionnaire baroudeur chez les Innus. Celui-ci a un vaste territoire à desservir, qui s’étend de L’Isle-aux-Coudres, où il s’établit de 1766 à 1767, jusqu’à Sept-Îles et de Tadoussac à Chicoutimi. En 1770 est ajouté à sa tâche le ministère de la rive sud du Saint-Laurent, de Cacouna à Rimouski. Mais de ce vaste territoire, Tadoussac reste son principal port d’attache, même s’il n’y réside pas continuellement. Il emploie ses hivers à l’instruction des Innus. En plus de leur apprendre à lire et à écrire dans leur propre langue, il leur enseigne le catéchisme, le cérémonial liturgique et le chant.

Le révérend père à la forte personnalité laisse sa trace sur plusieurs fronts, notamment pour son travail de recensement des chrétiens innus, un immense ouvrage collectif intitulé Miscellaneorum Liber auquel il mettra la touche finale et qui contient les actes de baptêmes, de mariages et de sépultures. Mais c’est principalement comme linguiste qu’il marquera l’histoire.
Un linguiste chez les Innus
L’homme de foi croit à l’importance de l’alphabétisation de ses ouailles autochtones et il souhaite pouvoir communiquer avec eux sans intermédiaire. Pour parvenir à ses fins, il se fait linguiste pour la langue montagnaise (innu-aimun). Dès 1766, il rédige en deux volumes un dictionnaire montagnais-latin, ouvrage qu’il reprend quelques années plus tard, en 1772, pour réaliser l’exercice inverse du latin au montagnais.
Le plus important de ses écrits demeure son manuel de prière et catéchisme en montagnais intitulé Nehiro-Iriniui-Aiamiche-massinahigan. L’ouvrage de 96 pages tiré à 2 000 exemplaires3 est publié en 1767. Il faut rappeler que la traduction des prières catholiques en montagnais (innu-aimun) n’est pas une entreprise de tout repos. L’ouvrage, premier livre en langue autochtone imprimé au Canada4, est destiné à ses ouailles autochtones qui savent lire et à ceux qui l’apprennent sous ses bons soins. Son recueil sera même réimprimé après sa mort en 1817 et 1844.
En 1770, l’infatigable auteur rédige un nouveau dictionnaire, mais cette fois sur la langue abénakise. Il en résulte le premier ouvrage dans cette langue orale imprimé au Canada au XVIIIe siècle5.

Mais au-delà de son important travail auprès des Autochtones, le révèrent père est passé à l’histoire dans la mémoire populaire par la légende. L’homme aurait prédit le moment de sa mort survenu à Tadoussac, et des faits étranges arrivent au même moment à l’Île-aux-Coudres.
Faire de sa propre mort une légende
Quelques heures avant sa mort le 11 avril 1782, le père de La Brosse, alors âgé de 57 ans, passe la soirée à jouer aux cartes au poste de traite de Tadoussac. Vers 9 h, il se lève et fait l’annonce à ses quelques amis rassemblés de sa mort imminente. « Je vous souhaite le bon soir, mes bons amis, pour la dernière fois; car, à minuit, je serai corps mort. À cette heure, vous entendrez sonner la cloche de ma chapelle. Je vous prie de ne pas toucher à mon corps. Vous enverrez chercher M. Compain à l’Île-aux-Coudres demain; il vous attendra au bout d’en bas de l’île. Ne craignez point la tempête si elle s’élevait; je réponds de ceux que vous enverrez6. » À minuit, la prophétie se réalise. La cloche de la chapelle de Tadoussac sonne trois coups, les paroissiens accourent et découvrent le corps inanimé de leur curé bien-aimé appuyé sur son prie-Dieu les mains jointes devant l’autel.

L’abbé Pierre-Joseph Compain (1740-1806), alors en poste à l’Île-aux-Coudres, apprend mystérieusement la mort de son confrère au même moment. Plongé dans sa lecture ou endormi selon les versions, le curé entend tout à coup, vers minuit, la petite cloche de son église sonner les trois tintements du glas. Médusé, il sort pour aller voir qui peut bien s’amuser avec la cloche à une heure pareille! Personne! Il entend alors une voix intérieure qui lui dit : « Le Père De La Brosse est mort; il vient d’expirer à Tadoussac. Ce glas t’annonce son dernier soupir. Demain, va au bout d’en bas de l’île. Un canot viendra te chercher pour te conduire à Tadoussac, où tu feras sa sépulture7. »
Le lendemain, le curé se rend au petit matin sur la batture où trois hommes dans un canot viennent le quérir pour le traverser sur le rivage afin d’y célébrer les obsèques du père de La Brosse. Bien qu’un vent violent du sud-ouest se fût levé sur le fleuve, un chenal calme s’offre aux canoteurs pour le voyage d’aller et de retour. Comme il était un curé hautement apprécié, « on vit arriver de partout les habitants des alentours; et les Amérindiens, un doigt sur la bouche comme pour marquer par ce geste qu’aucune parole ne pouvait exprimer leur douleur, s’amenèrent par centaines8 ».
Plus tard, on racontera que, dans toutes les missions où le père de La Brosse avait exercé son ministère, les cloches ont sonné spontanément9 à minuit le soir du 11 avril 1782. Cette légende10 montre bien l’importance et l’estime que le père de La Brosse a laissé dans l’imaginaire des gens.
Pour aller plus loin
- Serge Bouchard et Marie-Christine Lévesque, Le peuple rieur. Hommage à mes amis innus, Montréal, Lux Éditeur, 2017.
- Jean-Claude Dupont, « Les cloches qui sonnent d’elles-mêmes », Légendes de la Côte-Nord, Québec, Éditions J.-C. Dupont, 1996, p. 9.
- Léo-Paul Hébert, « Le Père Jean-Baptiste de La Brosse, professeur, linguiste et ethnographe chez les Montagnais du Saguenay (1766-1782) », Sessions d’étude – Société canadienne d’histoire de l’Église catholique, vol. 55, 1988, p. 7-39. [PDF en ligne : https://www.erudit.org/fr/revues/sessions/1988-v55-sessions1827069/1006944ar.pdf]
- Alexis Mailloux, Histoire de l’île aux Coudres. Suivi de Promenade autour de l’île aux Coudres, Montréal, Lux Éditeur, 2011, p. 184-187.
- Yves Tremblay, « Le Père de la Brosse : Sa vie, son œuvre », Sessions d’étude – Société canadienne d’histoire de l’Église catholique, vol. 35, numéro hors-série, 1968, p. 48. [PDF en ligne : https://www.erudit.org/en/journals/sessions/1968-v35-sessions1829203/1007306ar.pdf]

Pascal Huot est chercheur indépendant. Diplômé en études autochtones, il a également effectué une maîtrise en ethnologie à l’Université Laval. Celle-ci a fait l’objet d’une publication intitulée Tourisme culturel sur les traces de Pierre Perrault, Étude ethnologique à l’Île aux Coudres. Ses résultats de recherche ont paru dans divers journaux, magazines et revues. En 2016, il a fait paraître Ethnologue de terrain aux Éditions Charlevoix.