L’une des merveilles d’ingénierie du Québec au XXe siècle porte pourtant dans son histoire épique la marque indélébile d’une tragédie. La construction du pont de Québec laisse un souvenir amer pour de nombreuses familles, notamment à Kahnawake où des conjoints, des pères, des frères, des fils et des amis ont payé le prix de leur vie.

Les travaux débutent en octobre 1900. À l’été 1907, près de la moitié de la structure est complétée du côté sud du fleuve. Et parmi les hommes à l’œuvre sur ce gigantesque chantier, on trouve plus d’une cinquantaine de Mohawks de Kahnawake, leur savoir-faire étant des plus sollicités pour ce type d’ouvrage en hauteur, « car ils ont la réputation de ne pas avoir le vertige. Aujourd’hui encore, ils demeurent très fiers du travail qu’ils effectuent partout en Amérique du Nord, et ils occupent un créneau très compétitif dans la construction de structures d’acier de ponts et gratte-ciel » (Gilbert, 2010, p. 124).
Le 29 août, une centaine d’ouvriers sont à pied d’œuvre sur le chantier. À 17 h 37, dans un terrible vacarme, le bras cantilever en construction au-dessus du Saint-Laurent s’écroule, entraînant dans sa chute les travailleurs. Comme réaction de survie, certains sautent dans le fleuve, les autres sont écrasés dans le tas de ferraille. Soixante-seize travailleurs périssent et parmi ce nombre, trente-trois Mohawks âgés de 18 à 44 ans.

C’est la consternation dans la communauté de Caughnawaga (Kahnawake) qui compte à l’époque 1 500 personnes. Les familles « apprennent la catastrophe en moins d’une heure par leur maître de poste qui reçoit le message sur le premier et seul appareil téléphonique disponible au village à cette époque. La nouvelle se répand si vite qu’en un rien de temps les habitants s’agglutinent autour du bureau de poste » (Gilbert, 2010, p. 124).
Des recherches sont entreprises pour retrouver les corps des victimes dans les décombres, mais seulement huit des trente-trois Mohawks sont retrouvés. Les cercueils sont rapatriés à Caughnawaga le matin du 1er septembre et une cérémonie commune est célébrée. « L’église est trop petite pour contenir l’immense foule. Des centaines de personnes doivent rester dehors. Les femmes s’accroupissent en file sur le gazon et prient durant toute la cérémonie » (L’Hébreux, 2001, p. 60). Après la cérémonie funèbre, la procession se dirige vers le cimetière où une fosse commune a été préparée pour accueillir les huit cercueils.

Quelques mois après la tragédie, pour commémorer ce triste événement, un monument-épitaphe aux soixante-seize victimes est installé dans le cimetière de Saint-Romuald (Lévis) sur la rive sud de Québec. Cet hommage-sculpture à l’aspect singulier est composé de pièces d’acier issues du pont écroulé dans le fleuve. Sur la plaque est inscrit : « Ce monument-épitaphe a été érigé à la mémoire des 76 victimes décédées au pont de Québec le 29 août 1907. Il faisait partie intégrante de la structure écroulée. La Société d’histoire de Saint-Romuald. »
Après plus de six mois d’enquête, la cause de la catastrophe s’avère attribuable aux erreurs importantes dans les modifications des plans faits par l’ingénieur civil de New York Theodore Cooper (1839-1919), considéré comme le principal responsable de la tragédie. Cet effondrement marquera la fin de sa carrière. La Phoenix Bridge Company qui assurait les travaux de construction sera remplacée par la St. Lawrence Bridge Co. La reprise du chantier a lieu en 1908. Si le pont subit une seconde tragédie en 1916, l’ensemble est terminé en 1917 et inauguré officiellement en 1919.
Pour aller plus loin
- René Gilbert, « La tragédie du pont de Québec » et textes suivants, Présence autochtone à Québec et Wendake, Québec, Les Éditions GID, 2010, p. 124-126.
- Michel L’Hébreux, « La première grande catastrophe », Le Pont de Québec, Québec, Septentrion, 2001, p. 53-80.
- James H. Marsh, « Le désastre du pont de Québec », L’Encyclopédie canadienne, 4 mars 2015, [En ligne : https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/le-desastre-du-pont-de-quebec]
- Stéphanie Martin, « « Le grand vide » a Kahnawake », Journal de Québec, Samedi, 23 septembre 2017, [En ligne : https://www.journaldequebec.com/2017/09/20/le-grand-vide-a-kahnawake]
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Pascal Huot est chercheur indépendant. Diplômé en études autochtones, il a également effectué une maîtrise en ethnologie à l’Université Laval. Celle-ci a fait l’objet d’une publication intitulée Tourisme culturel sur les traces de Pierre Perrault, Étude ethnologique à l’Île aux Coudres. Ses résultats de recherche ont paru dans divers journaux, magazines et revues. En 2016, il a fait paraître Ethnologue de terrain aux Éditions Charlevoix.