Verba volant, scripta manent. Ce proverbe antique s’applique bien au passage du père jésuite Pierre-Philippe Potier. Car si les paroles s’envolent et les écrits restent… c’est comme linguiste que ce missionnaire chez les Hurons va laisser sa marque.
Missionnaire chez les Hurons de la rivière Détroit
Pierre-Philippe Potier1est né en avril 1708 à Blandain dans la province de Hainaut en Belgique. Fils de Jacques Potier et de Marie Duchatelet, il étudie d’abord au collège de Tournai en Belgique, puis à Douai en France. Le 30 septembre 1729, il entre au noviciat de Tournai. Après une année de lettres de 1731 à 1732 à Lille, en France, il enseigne pendant six années au Collège de Béthune, un village français près de la frontière de la Belgique. Il entreprend ses études de théologie au scolasticat de Douai de 1738 à 1742 et prononce ses derniers vœux à Tournai le 2 février 1743. C’est alors qu’une aventure missionnaire va entraîner le jésuite belge en Nouvelle-France.
En partance de La Rochelle, Potier monte à bord du vaisseau du roi Rubis le 18 juin 1743 pour une traversée qui le fait accoster à Québec le 1er octobre. Arrivé sur sa nouvelle terre d’accueil, il séjourne durant huit mois à la mission huronne de Lorette pour y apprendre les rudiments de la langue. Le 26 juin 1744, le missionnaire quitte Québec et reprend la route, cette fois pour se rendre à la mission huronne de l’île de Bois-Blancs, située à l’embouchure de la rivière Détroit. Il y rejoint le père jésuite Armand de La Richardie (1686-1758) en poste depuis 1728. Les deux hommes se côtoient seulement deux années, car la maladie oblige le père La Richardie à quitter ses obligations. À partir de ce moment, Potier assure seul la destinée de la mission.
L’homme de terrain, que les Hurons appellent Horonhiayehte (il porte le ciel), s’active pour dresser la liste des 33 cabanes huronnes de sa mission qui est scindée en deux, soit le Petit Village et le Grand Village. Il transcrit la liste des chefs de cabane et le nombre d’occupants, en plus de retranscrire une liste complète de toutes les personnes baptisées depuis 1727.
En 1747, des suites de l’incendie criminel de la mission de l’île de Bois-Blanc, on décide de déplacer le village huron et la mission à La Pointe-de-Montréal (renommée par les Anglais Sandwich, puis Windsor, Ontario). Financée par le gouverneur de Québec qui souhaite que les Hurons s’établissent dans la nouvelle mission, une église en bois est construite en 1750. Durant les hivers, le missionnaire accompagne généralement les bandes huronnes en hivernement sur la rive sud-ouest du lac Érié, à Sandoské (Sandusky, Ohio).
Après la Conquête anglaise de 1760, Potier demeure en poste et continue son ministère auprès des Hurons, mais il prend également en charge les habitants français établis sur la rive gauche de la rivière Détroit. On décide alors que la mission huronne de l’Assomption doit devenir une paroisse. Et c’est ainsi que, tout naturellement, est fondée la paroisse Notre-Dame-de-l’Assomption en 1767 et qu’il en est nommé le curé, devenant le premier prêtre de la plus ancienne paroisse d’Ontario. Il y demeure en poste jusqu’à sa mort le 16 juillet 1781.
Un apport linguistique d’une valeur recherchée
Homme de lettres et lexicographe, Potier a énormément écrit. Parmi ses nombreux cahiers, certains sont d’une grande richesse historique, dont ses notes sur les Façons de parler proverbiales qui constituent le seul lexique du français parlé en Nouvelle-France d’avant la Conquête. Ainsi, de 1743 à 1758, Potier consigne environ un millier de mots et d’expressions concernant le parler français, mais on y trouve également plusieurs amérindianismes comme ouararon pour grenouille.
Outre cet apport inestimable et unique pour le patrimoine linguistique de l’Amérique française, le missionnaire spécialiste de la langue huronne a écrit des ouvrages sur ce sujet. On lui doit, entre autres choses, un lexique en huron qui relève les espèces de poissons, d’oiseaux et différentes plantes du Canada, en plus de révéler les noms de plusieurs objets de la culture européenne. Il est également l’auteur d’une traduction de la Bible. L’ensemble de cet apport linguistique est des plus importants, car cette langue s’est éteinte. Néanmoins, il existe aujourd’hui plusieurs initiatives pour la revitaliser2.
Par ses écrits, conservés en grande partie aux archives du Grand Séminaire de Québec, le père Potier offre un témoignage de premier ordre sur la vie des sociétés canadienne et huronne au XVIIIe siècle.
Pour aller plus loin
- Marcel Bénéteau, « Lexique de parler canadien-français du père Potier », L’Encyclopédie canadienne, [En ligne] : [http://www.ameriquefrancaise.org/fr/article-109/Lexique_du_parler_canadien-fran%C3%A7ais_du_p%C3%A8re_Potier.html#.YAHUa-hKg2w]
- Michel Gros-Louis et Benoît Jacques, « Pierre Philippe Potier, missionnaire et linguiste », Les Hurons-Wendats. Regards nouveaux. Tho nionwentsu’ten, mon peuple, ma langue, mon territoire. Les Éditions GID, 2018, p. 99-118.
- E. J. Lajeunesse, « La Richardie, Armand de », Dictionnaire biographique du Canada, vol. 3, Université Laval/Université de Toronto, 2003, [En ligne] : [http://www.biographi.ca/fr/bio/la_richardie_armand_de_3E.html]
- Robert Toupin, Les Écrits de Pierre Potier. Les Presses de l’université d’Ottawa, 1996.
- Robert Toupin, « Potier, Pierre-Philippe », Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4, Université Laval/Université de Toronto, 2003, [En ligne] : [http://www.biographi.ca/fr/bio/potier_pierre_philippe_4F.html]
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Pascal Huot est chercheur indépendant. Diplômé en études autochtones, il a également effectué une maîtrise en ethnologie à l’Université Laval. Celle-ci a fait l’objet d’une publication intitulée Tourisme culturel sur les traces de Pierre Perrault, Étude ethnologique à l’Île aux Coudres. Ses résultats de recherche ont paru dans divers journaux, magazines et revues. En 2016, il a fait paraître Ethnologue de terrain aux Éditions Charlevoix.