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L’humanité en marche avec Jésus

Image en bandeau : Aînée participant à la marche symbolique qui s’est tenue entre le site de l’ancien pensionnat de Saint-Marc-de-Figuery et Kitcisakik (marche Anicinape Wabigoni Mikina – Le chemin florissant des Anicinabek) | Photo : Sébastien Lafontaine

Depuis l’événement Jésus Christ, et « l’universalisation » de son message, l’un des grands défis de notre temps réside certainement en celui d’embrasser la fragilité de l’être humain. Et le missionnaire est celui qui marche avec l’autre pour accueillir sa fragilité, mais surtout, fragile lui-même, pour se laisser transformer par lui.

L’épopée humaine suit son cours avec, en son sein, le levain de l’Évangile. Cette grande aventure a jailli de la terre et de la nuit des temps offrant au monde son brin de lumière. Depuis l’événement Jésus Christ, et « l’universalisation » de son message, l’un des grands défis de notre temps réside certainement en celui d’embrasser la fragilité de l’être humain. Depuis plusieurs décennies, l’Église catholique, en Occident, vit un processus de dépouillement, de décapage. Outre les enjeux de pénurie de main-d’œuvre – que Jésus lui-même avait annoncé : « les ouvriers sont peu nombreux » – et de refonte des structures paroissiales, le sens de la mission dans l’Église catholique est en pleine mutation et demeure un thème crucial pour l’époque actuel.

Le pape François nous invite, dans son message pour cette 97e Journée mondiale des missions, à méditer le passage des disciples d’Emmaüs dans l’évangile de Luc. On y met en scène des cœurs brûlants, des yeux ouverts, des pieds en marche. Les deux comparses qui font route vers Emmaüs sont découragés, ils ont perdu tout espoir, et Jésus les rejoint, marche avec eux, il leur parle de lui. Pas à pas, il les accompagne vers ce qu’il y a de plus précieux dans l’aventure humaine : ne plus avoir peur de la mort, en ayant foi en Jésus Christ. J’aime à croire que Jésus révèle dans son être à la fois Dieu son Père et la profondeur humaine. D’ailleurs, il se désigne lui-même comme le Fils de l’Homme, c’est-à-dire comme celui qui réalise l’accomplissement plénier de l’humain. Quel bon exemple pour un missionnaire! Mais d’abord et avant tout, il accompagne l’autre en l’aidant à traverser ses zones d’ombres, en reconnaissant sa fragilité pour reprendre contact avec le mince fil de lumière qui loge en lui.

Jésus : matrice de l’humanisme

Le premier quart du 21e siècle aura posé le défi de revoir notre représentation de l’Humain. Le Christ, et tout son Évangile, ne cesse de ramener ses disciples à une compréhension plus profonde de l’être – Jésus Christ incarne la qualité de présence absolu. Pour bien comprendre la pertinence de la mission aujourd’hui, et à qui elle s’adresse, il est crucial de s’arrêter à cette présence de Dieu en soi pour être bonne présence à l’autre. Le 20e siècle a éprouvé profondément le sens de la vie en mettant l’accent sur la dimension matérielle de l’existence. Dans les premiers siècles, les pères de l’Église, en faisant la synthèse entre la sagesse des penseurs grecs et le bouleversement causé par le message évangélique, ont posé des bases solides à notre civilisation. Au fil des siècles, cet humanisme chrétien a mûri, et demeure d’une grande importance pour répondre aux défis de notre temps. Mais l’être humain semble aujourd’hui en perte de repères. Saurons-nous retrouver l’humanité dans le geste que nous effectuons à son égard, dans l’écoute de ce qu’il est en profondeur, dans la présence que nous lui offrons? Il me semble inconvenable de parler de Jésus si on est incapable d’être présent à la réalité de l’autre, et on peut être présence du Christ sans parler de ce dernier. À un moment donné, les questions viendront, l’Esprit nous inspirera les mots. Notre première mission est donc celle de cette présence au monde, de cet humanisme qu’il faut promouvoir avant tout.

L’Esprit Saint Ad gentes

Mais il y a aussi une mission plus particulière. Au Québec, il existe encore, d’une part, de rares comités missionnaires diocésains qui font la promotion de la présence d’Église à l’étranger : le carême de partage de Développement et paix et les affiches du Dimanche missionnaire mondial, par exemple. On parle alors de mission ad gentes, qui signifie « vers les peuples » ou à l’étranger. D’autre part, on parle depuis plus de vingt ans de pastorale missionnaire en paroisse en affirmant que tout baptisé est missionnaire. Il s’agit en quelque sorte ici de la mission « ad intra », vers ceux et celles qui font partie de notre propre société. Il y a aussi l’organisme Mission chez nous, qui a d’abord été créé pour répondre aux besoins financiers des missions chez les Premiers Peuples. Les nouvelles orientations de l’organisme, qui souhaitent déployer en plus une présence qui se met à leur écoute et à leur service, sont sources d’enthousiasme pour moi. Dans ce cas, on parle plutôt de mission ad extra (vers une autre culture que la sienne, mais pas nécessairement à l’étranger). Devant tous ces termes, il y a parfois de quoi perdre son latin… En fait, à qui s’adresse la mission, qui est missionnaire? Celui vers qui on va en mission ne peut-il pas être missionnaire à son tour pour celui qui vient vers lui? N’a-t-il pas quelque chose à livrer lui aussi? Ad gentes, ad intra, ad extra : mission ici ou ailleurs, au pluriel et au singulier, et autres missions impossibles, sont autant de concepts qui, selon moi, embrouillent parfois la réflexion. Il nous faut nous concentrer sur l’essentiel : l’élan missionnaire est bel et bien au fondement de notre Église, oui. La mission, mot de même famille que missive, comporte un message, implique un messager qui devient représentant de Celui qui envoie. Le mandataire est cette communauté qui agit de concert avec le pasteur de l’Église locale, au nom de l’Église universelle, qui peut s’enraciner n’importe où.

En somme, l’appel missionnaire touche des gens qui désirent rencontrer d’autres réalités que celles de leur Église locale. Que des paroissiens de La Sarre, en Abitibi, soient envoyés en mission au Mali ou à Val d’Or ou que des communautés chrétiennes autochtones envoient des leurs parmi nous, l’essentiel est que, tous et toutes, nous soyons disponibles à l’Esprit Saint, ce Souffle en nous-même qui nous aide à discerner notre propre oui, mais aussi à nous tenir à l’affût de la façon dont il est à l’œuvre dans le lieu où nous sommes conviés. Le missionnaire collabore à ce que l’Esprit Saint est déjà en train de tricoter là où il veut. C’est pourquoi le missionnaire n’est pas d’abord coopérant international ni travailleur de rue, mais bien au service du projet de Dieu, particulier à chaque contexte, à chaque milieu.

Envoyé pour mieux revenir

Il y a la vie communautaire et il y a l’élan missionnaire. Dans la première, on trouve l’activité pastorale, les soins à la communauté. Dans la seconde, on entre dans la dynamique du mouvement vers « un autre lieu », dans un déplacement qui ouvre l’intérieur. Traditionnellement, ce mouvement missionnaire était réservé aux communautés religieuses. Les missionnaires appartenant à cette communauté avaient alors, d’office, leur lieu d’appartenance. Quand certains laïques ont pris le relais au tournant des années 1980, les Prêtres des missions étrangères (PMÉ), par exemple, ont reconnu certains de leurs besoins. D’abord, celui d’une formation solide qu’ils ont offerte à ces futurs envoyés pour bien les équiper, ensuite, celui d’une appartenance. Au cours de ces années, les PMÉ sont devenus la Société des missions étrangères, intégrant en son sein les nouveaux missionnaires laïques. Il y a eu transformation, une forme de « conversion ». Aujourd’hui, les communautés chrétiennes de nos milieux actuels pourraient être considérées comme de tels lieux d’appartenance. Il serait d’ailleurs intéressant d’incorporer à leurs activités une cérémonie d’envoi missionnaire quand l’occasion se présente. C’est en assumant le décapage actuel de nos pratiques parfois encrassées que nous pouvons refonder nos communautés chrétiennes, aidées par la mission au sens large. Le voyage forme la jeunesse; aller voir ailleurs ce que d’autres font ou vivent aidera nos communautés paroissiales à se renouveler. Pour mieux revenir.

Sœur Claudette Dumond m’avait transmis cet adage recueilli chez les Cris du nord de l’Alberta : « Tu pourras dire me connaître quand tes mocassins seront usés d’avoir marché à mes côtés. » Je vous laisse donc avec ceci : chemin faisant, nos cœurs ne deviendront-ils pas alors tout brûlants !

La 3e Rue à Val-d'Or | Photo : Sébastien Lafontaine
La 3e Rue à Val-d’Or | Photo : Sébastien Lafontaine

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