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Livre Histoire(s) et vérité(s) de Thomas King

Recension du livre Histoire(s) et vérité(s): Récits autochtones de Thomas King (Bibliothèque québécoise, 2019) par Pascal Huot, ethnologue.

Qui s’intéresse aux questions autochtones va nécessairement devoir réfléchir à ses identités. Les questions ici foisonnent, car « l’Indien et les Indiens ne peuvent pas coexister dans le même imaginaire » (p. 54). Les identités réelles en comparaison avec les inventées, les diverses appropriations, celles qui rapportent et celles à qui elles rapportent… Si la culture populaire y est certes pour beaucoup dans cette confusion, les pouvoirs étatiques en tirent également parti. C’est ici que l’essayiste métisse Thomas King entre en scène. Histoire (s) et vérité(s)1 s’inscrit dans cette démarche réflexive entamée depuis plusieurs années par l’auteur et cette réédition en français permet de plonger dans de tortueux méandres identitaires par le biais d’histoires racontées avec son humour caustique caractéristique, lui qui avoue avoir un petit « côté pervers » pleinement assumé et qui parfois « préfère provoquer plutôt que rassurer » (p. 127).

Cinq histoires (six avec la postface) sont donc au cœur de cet essai : « histoire de la création, anecdotes personnelles, archives historiques, textes législatifs et récits littéraires, Histoire(s) et vérité(s) esquisse le fil tortueux des histoires racontées sur et par les « Indiens » en Amérique du Nord, histoires qui continuent à ce jour de tisser l’étoffe de notre coexistence coloniale » (préface d’Isabelle Amand, professeure en littérature autochtone francophone à l’Université Queen’s, p. 7).

Thomas King maîtrise l’art de raconter et il sait parfaitement où il souhaite entraîner son lecteur. D’abord écrits pour la radio, les textes ont comme prémisse des anecdotes personnelles et familiales qui lui permettent de diriger sa réflexion sur des constats généraux. La recherche de son père l’entraîne vers la création du monde et la manière dont nous voyons et appréhendons ce monde. Les conférences où il tient le rôle de l’Indien de service, lui « l’Indien urbain » (p. 112), font réfléchir aux futiles considérations vestimentaires stéréotypées qui sont pourtant très révélatrices. Un projet artistique de portraits en noir et blanc d’artistes autochtones porte le questionnement sur les préoccupations du photographe Edward Sheriff Curtis (1868-1952) et la disparition de l’Indien de carte postale lui permet d’aborder autant la Removal Act de 1830 que le racisme plus muet, mais tout aussi dangereux. Il s’attaque ainsi à l’essence du racisme simpliste et législatif. « La vérité, c’est que les histoires, c’est tout ce que nous sommes. » (p. 116)

Cet ouvrage a le mérite d’obliger le lecteur à réfléchir sur sa propre conception de l’Indien, car après la lecture d’Histoire(s) et vérité(s), vous ne pourrez pas dire « dans quelques années que vous auriez vécu différemment si seulement vous l’aviez entendue. Parce que vous la connaissez, maintenant » (p. 182).

KING, Thomas, Histoire(s) et vérité(s) : Récits autochtones, Montréal, Bibliothèque québécoise, 2019, 199 p. (édition originale anglaise 2003 et première édition française 2015; traduction : Rachel Martinez)

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1 L’ouvrage est récipiendaire du Trillium Book Award de 2004.

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