Sans doute l’ours le plus mystérieux du Canada, l’ours-esprit (ours Kermode1) de la Colombie-Britannique suscite admiration et questionnement.
Souvent considérés à tort comme une autre espèce, les ours blancs (Ursus americanus kermodei) du nord-ouest de la Colombie-Britannique sont simplement des ours noirs2 côtiers arborant une fourrure blanche. Cette couleur crème énigmatique, semblable à un spectre dans les forêts pluviales sombres, leur a valu le nom d’ours-esprit. Les poils blancs de ces ours particuliers, ni albinos ni ours polaires, sont en réalité causés par un rare trait génétique récessif3.
Comme le souligne le guide de la Première Nation Gitga’at, Marven Robinson, voir un ours-esprit dans son habitat naturel est très rare, car les estimations sur cette population varient entre 100 et 500 individus4. Leur existence est longtemps demeurée secrète pour empêcher le commerce de leur fourrure et la chasse comme simple trophée! Depuis le milieu du 20e siècle, chasser un ours-esprit est interdit5 en Colombie-Britannique.
De par sa rareté intrigante, l’ours-esprit occupe une part symbolique6 unique dans la tradition orale des autochtones. « Les ours esprits sont profondément respectés par les Premières Nations tsimshians, qui partagent leurs territoires traditionnels avec les ours esprits. Appelés moksgm’ol dans les langues tsimshians, les ours esprits sont l’objet de plusieurs contes et légendes. Une de ces histoires raconte que le Corbeau a créé les ours esprits en mémoire de la dernière période glaciaire pendant laquelle son habitat était couvert par la neige et la glace. De nos jours, les ours esprits sont devenus une espèce phare pour l’écotourisme organisé par les Autochtones7. »
Depuis 2006, avec l’adoption de la loi officielle sur les symboles et honneurs provinciaux, l’ours-esprit est devenu le mammifère emblématique8 de la Colombie-Britannique. Mais loin d’être sauvé, sa plus grande menace provient de nos jours de l’exploitation forestière et pétrolière sur son territoire.
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1 Le nom d’ours Kermode lui a été donné en l’honneur de Francis Kermode, l’un des premiers scientifiques à avoir étudié l’animal.
2 Voir au sujet de l’ours noir : Pascal Huot, « L’ours noir, grand-père spirituel des bois », Mission chez nous, 2 décembre 2021. [En ligne : www.missioncheznous.com/lours-noir-grand-pere-spirituel-des-bois]
3 « Cette coloration unique est le résultat d’une variation peu commune du gène MC1R (récepteur de la mélanocortine de type 1), qui contribue à produire la mélanine, ou le pigment responsable de la couleur de la peau, des cheveux et des yeux », Christina Service, « Ours esprits », L’Encyclopédie canadienne, 2019 (2017). [En ligne : https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/spirit-bear]
4 Marven Robinson, « Your Spirit Tours Guide », 7 octobre 2021 [En ligne : https://gitgaatdevco.com/marven-robinson-your-spirit-tours-guide/]
5 Christina Service, Ibid.
6 « Lorsque la Terre devint verte, notre créateur, le Raven, décida de nous léguer un souvenir de l’époque où elle était couverte de neige et de glace et demanda pour cela à l’ours noir de rendre blanc un ourson sur dix. Raven promit que ces ours auraient des pouvoirs uniques : ils conduiraient notre peuple vers les meilleurs sites et auraient la capacité de trouver du poisson au plus profond des océans. Raven leur réserva une forêt sur l’île Princess Royal, où ils vivraient éternellement en paix et en harmonie avec le peuple T’simshian ». Marven Robinson, « La légende de l’ours-esprit », dans Paul Nicklen, « Ours-esprit », Ours. Esprits de la nature, Paris, Delachaux, Niestlé et National Geographic Society, 2015, p. 197.
7 Christina Service, Ibid.
8 Gouvernement du Canada, « Autre symboles de la province. Animal », Les symboles provinciaux de la Colombie-Britannique, 15 août 2017. [En ligne : https://www.canada.ca/fr/patrimoine-canadien/services/symboles-provinciaux-territoriaux-canada/colombie-britannique.html]
Pour aller plus loin
- Canada C3, Les ours Kermode. [En ligne : https://canadac3.ca/fr/video/les-ours-kermode/]
- Thérèse Champagne, « L’ours et sa forêt », La semaine verte, Radio-Canada, 9 novembre 2003. [En ligne : https://ici.radio-canada.ca/actualite/semaineverte/colorsection/fauneflore/031109/kermode.shtml]
- Tim Irvin, Spirit Bear Tours, site Internet. [En ligne : https://www.timirvin.com/spirit-bear-tours/]
- Krista Langlois, « Au Canada, la lutte contre la chasse à l’ours Kermode s’organise », National Geographic. [En ligne : https://www.nationalgeographic.fr/animaux/au-canada-la-lutte-contre-la-chasse-lours-kermode-sorganise]
- Paul Nicklen, « Capturing the Spirit Bear », National Geographic Live!, 2013. [En ligne: https://www.youtube.com/watch?v=NkLeHnl-lPI]
- Paul Nicklen, « Ours-esprit », Ours. Esprits de la nature, Paris, Delachaux, Niestlé et National Geographic Society, 2015, p. 158-197.
- Christina Service, « Ours esprits », L’Encyclopédie canadienne, 2019 (2017). [En ligne : https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/spirit-bear]
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Pascal Huot est chercheur indépendant. Diplômé en études autochtones, il a également effectué une maîtrise en ethnologie à l’Université Laval. Celle-ci a fait l’objet d’une publication intitulée Tourisme culturel sur les traces de Pierre Perrault, Étude ethnologique à l’Île aux Coudres. Ses résultats de recherche ont paru dans divers journaux, magazines et revues. En 2016, il a fait paraître Ethnologue de terrain aux Éditions Charlevoix.