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Mission : perspectives ouvertes par Vatican II

Image en bandeau : Un mot qui fait jaser | Photo : Alex Shute/Unsplash

La véritable mission n’existe pas pour le service de l’Église elle-même et son propre bénéfice, mais elle se met au service du royaume de Dieu qui vient. Elle se fait surtout présence et témoignage, engagement au service des personnes et de la libération humaine et ouverture au dialogue interreligieux.

Dans la continuité de l’article précédent sur le sujet, nous esquissons maintenant quelques perspectives sur la mission ouvertes au concile Vatican II et développées par la suite par le théologien Claude Geffré1 dans ses travaux. L’activité missionnaire de l’Église se déploie désormais selon plusieurs éléments.

1. L’Église, sacrement universel du salut

Le document Ad Gentes de Vatican II a permis de ressaisir l’activité missionnaire de l’Église à l’intérieur du mouvement dynamique plus large de l’amour du Père pour le monde. Et l’incarnation du Verbe de Dieu en Jésus Christ, comme manifestation décisive de ce dessein, est le fondement immédiat de la mission de l’Église : « Comme tu m’as envoyé dans le monde, je les envoie dans le monde. » Il est insuffisant de rattacher la vocation missionnaire à l’ordre de mission de Mt 28,18 : « Allez-donc, de toutes les nations faites des disciples. Les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit. » L’Église est missionnaire par son origine et pas sa nature mêmes : « De sa nature, l’Église, durant son pèlerinage sur terre, est missionnaire, puisqu’elle-même tire son origine de la mission du Fils et de la mission du Saint-Esprit, selon le dessein de Dieu le Père. Ce dessein découle de “l’amour dans sa source”, autrement dit de la charité du Père. » (Ad Gentes, 2) La mission confiée à l’Église par le Christ n’est pas une tâche parmi d’autres. C’est sa raison d’être.

Envoyée au monde pour manifester l’amour du Père, l’Église est essentiellement le sacrement de salut pour les nations : « Ressuscité des morts, le Christ envoya aux Apôtres son Esprit vivifiant et, par lui, se constitua un Corps, l’Église, sacrement universel du salut. » (Lumen Gentium, 48) Cela veut dire que l’Église n’est pas au service d’elle-même. Elle est au service du royaume de Dieu qui vient2. Seul, le royaume de Dieu, comme royaume de justice, de paix et de liberté est absolu. La mission n’a pas pour seul but de grossir le nombre de ceux et celles qui sont incorporés à l’Église visible. En dialogue et en collaboration avec tous les hommes et femmes de bonne volonté (qui peuvent appartenir à d’autres religions ou familles spirituelles) elle a pour finalité « de révéler et de promouvoir le Royaume de Dieu qui a commencé de s’inaugurer dès le premier instant de la création et qui continue d’advenir dans l’histoire religieuse de l’humanité bien au-delà des frontières visibles des Églises3 ». À la limite, ce n’est pas l’Église qui définit la mission, c’est la mission qui donne à l’Église son visage en fonction des défis qui se présentent dans tel ou tel milieu.

Parmi les redécouvertes qu’a permises Vatican II, il y a aussi le rôle de l’Esprit Saint dans la diffusion de la Parole. Non seulement c’est lui qui rend les Apôtres aptes au témoignage et leur donne l’assurance, mais c’est aussi lui qui les précède en mission et qui ouvre les païens à l’accueil de l’Évangile. Toute entreprise missionnaire est précédée et accompagnée par l’Esprit Saint. Le libre Esprit de Dieu travaille de manière imprévisible. Il est à reconnaître au milieu des nations avant même l’activité d’annonce.

Ad Gentes et Evangelii Nuntianti (1975) parlaient déjà de diverses tâches missionnaires. Mais c’est surtout le document Attitude de l’Église catholique devant les croyants des autres religions de 19844, qui élargit la compréhension de la mission de façon à inclure, à côté de l’annonce, de la catéchèse et de la vie liturgique, toutes les tâches liées au service de l’Évangile : la présence et le témoignage; l’engagement au service des personnes, l’action pour la promotion sociale et la libération humaine; le dialogue interreligieux. Détaillons un peu plus ces dernières.

2. Présence et témoignage

En Algérie, il n’était pas permis aux moines de Tibhirine de faire des conversions. Cela ne les empêchait pas de se considérer vraiment comme des missionnaires. En effet, leur seule présence en milieu musulman témoignait déjà du royaume de Dieu qui vient ou encore de l’amour de Dieu révélé en Jésus Christ. Ils illustraient ainsi l’importance primordiale du témoignage de vie comme Evangelii Nuntiandi le rappelle :

L’Évangile doit être proclamé d’abord par un témoignage. Voici un chrétien ou un groupe de chrétiens qui, au sein de la communauté humaine dans laquelle ils vivent, manifestent leur capacité de compréhension et d’accueil, leur communion de vie et de destin avec les autres, leur solidarité dans les efforts de tous pour tout ce qui est noble et bon. (21)

Le témoignage porté à des valeurs qui sont au-delà des valeurs courantes, soulève des questions dans le cœur de ceux et celles qui les voient vivre. Il est déjà une proclamation silencieuse mais très forte et efficace de la Bonne Nouvelle. Ainsi, quand les conditions ne sont pas réunies pour donner une annonce explicite, que ce soit dans un contexte d’absence de liberté religieuse ou encore dans une société qui, pour toutes sortes de raisons, réagit négativement à la présence de l’Église, le témoignage rendu à l’Évangile par sa vie même est déjà éloquent. « Vous allez recevoir une puissance, celle du Saint-Esprit qui viendra sur vous; vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre. » (Ac 1,8)

Cela illustre bien que, désormais, la motivation du missionnaire ne se fonde plus sur l’obéissance au commandement de Jésus rapporté à la fin de l’évangile de Matthieu. Elle s’enracine dans son désir de partager une bonne nouvelle dont il a fait l’expérience. Si nous aimons l’humanité, si nous prêchons Jésus Christ, si nous témoignons des valeurs évangéliques, c’est parce que, déjà pour cette vie, c’est un réel trésor de découvrir quelles sont les voies vers Dieu à l’intérieur du christianisme. Comme le dit saint Paul, je ne peux pas ne pas annoncer Jésus Christ et ne pas témoigner du visage de Dieu qu’il nous a révélé.

3. L’engagement au service des personnes et de la libération humaine

Autrefois la mission polarisée sur le salut éternel des âmes tendait à considérer les tâches de développement de la personne et d’amélioration du monde comme des tâches provisoires. Dans la perspective d’une Église comme sacrement du salut pour le monde, le salut chrétien se conçoit aussi comme l’anticipation du royaume de Dieu dans le tissu même de l’histoire. Il comprend donc tous les efforts pour la promotion sociale, par exemple celle des femmes, pour la lutte contre la pauvreté et les structures qui la favorisent, pour la libération de toutes les formes d’oppression ou d’exclusion sociale.

Le Document du Synode 1971 affirme de façon très forte : « L’activité en faveur de la justice et la participation à la transformation du monde nous apparaissent pleinement comme une dimension constitutive de la prédication de l’Évangile ou, en d’autres mots, de la mission de l’Église pour la rédemption du genre humain et sa libération de toute situation oppressive5. »

Le Rapport final du Synode romain de 1985 exprime bien la complexité des tâches à l’intérieur de l’unique mission de l’Église : « La mission salvifique de l’Église relativement au monde doit être comprise comme intégrale. Car bien que spirituelle, la mission de l’Église implique la promotion de l’homme aussi dans le domaine temporel… Il faut donc écarter et dépasser les oppositions fausses et inutiles, par exemple entre la mission spirituelle et les services pour le monde6. »

4. Dialogue interreligieux

À une époque de mondialisation l’entreprise missionnaire rencontre inéluctablement la diversité des cultures et des religions. L’Église se heurte donc à un nouveau défi : comment concilier la volonté de témoigner de la foi et le respect des valeurs positives des autres traditions religieuses ? Comment concilier mission et dialogue interreligieux ?

La réflexion théologique récente permet de reconnaître que, si l’Église est bien le sacrement du salut, elle n’a pas le monopole exclusif des signes du royaume de Dieu. Le Concile avait déjà reconnu que la grâce est offerte à tous les humains selon des voies connues de Dieu seul :

[En réalité, le mystère de l’homme ne s’éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe Incarné…] Cela ne vaut pas seulement pour ceux qui croient au Christ, mais bien pour tous les hommes de bonne volonté, dans le cœur desquels, invisiblement, agit la grâce. En effet, puisque le Christ est mort pour tous et que la vocation dernière de l’homme est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir que l’Esprit-Saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’être associé au mystère pascal. (Gaudium et spes, 22)

Autrement dit, Dieu n’est pas lié par les médiations ecclésiales instituées. Les autres traditions religieuses peuvent receler, comme le dit Jean-Paul II, des « semences et des rayons qui se trouvent dans les personnes et dans les traditions religieuses de l’humanité7 ». Le dialogue interreligieux n’est pas seulement une exigence du respect et de la liberté d’autrui, c’est-à-dire un acte de tolérance. « Il est une exigence du respect dû aux voies mystérieuses de Dieu dans le cœur des humains8. » Comme dans le cas de la présence et du témoignage, le dialogue interreligieux est un témoignage rendu à l’Évangile par la vie même.

Dans les multiples activités de dialogue interreligieux, on peut parler « de dialogue de salut où chacun s’efforce, dans la fidélité à sa propre vérité, de célébrer une vérité qui déborde non seulement les limites mais aussi les incompatibilités de chaque tradition religieuse9 ». Le vrai dialogue respectueux conduit à reconnaître une vérité plus haute que le point de vue de chaque interlocuteur.

Dans le dialogue interreligieux, on parle généralement de « transformation » réciproque de chacun. Mais on peut aussi parler de « conversion » réciproque. En effet, dans l’expérience de dialogue, je découvre que je ne vérifie pas moi-même dans ma vie les vérités dont je me réclame et, inversement, l’autre peut parvenir à une autre perception de sa vérité dans sa vie. Ainsi, dans ce contexte, un effet de la mission est la conversion du témoin, du missionnaire lui-même, qui n’est pas dans la situation de celui qui apporte quelque chose à celui qui n’a rien. « Il est lui-même celui qui reçoit, celui qui par le détour de l’autre découvre sa propre identité, celui qui est interpellé par la vérité des autres religions, des autres cultures et des autres manières d’accomplir sa vocation humaine et religieuse10. »

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