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Missionnaire au pays des Algonquins (Anishnabek) – partie 1

par Renelle Lasalle, ss.cc.j.m

Renelle Lasalle est originaire de Crabtree (région de Lanaudière). Elle entre dans la communauté des Sœurs des Saints-Cœurs de Jésus et de Marie de Joliette en 1967. Elle a d’abord œuvré comme professeur d’éducation physique et de catéchèse à Saint-Michel des-Saints (10 ans), puis pendant 5 ans comme animatrice de la vie étudiante dans une résidence pour cégépiennes à Joliette. Elle travaille 6 ans au Patro Le Prévost de Montréal comme animatrice de pastorale avant de prendre la route pour Amos, où elle agira à titre de responsable de la pastorale-Jeunesse diocésaine pendant 15 ans. Aujourd’hui, elle œuvre auprès des deux communautés anishnabek de Lac Simon et de Kitcisakik en Abitibi.

Première partie de deux.

Me voila déjà à ma sixième année au cœur de deux communautés algonquines de l’Abitibi (Lac Simon et Kitcisakik) comme accompagnatrice spirituelle. Elles font partie de la grande famille linguistique algonquienne dont les différentes Nations se nomment Anishnabek ou Anicinapek (Vrai homme)1

La communauté du Lac Simon (1 800 habitants) ressemble beaucoup a la communauté atikamekw de Manawan dans la région de Lanaudière. On y retrouve les mêmes infrastructures – écoles primaire et secondaire, centre de santé, église, poste de police, épicerie, etc. – et les mêmes défis sociaux…

Kitcisakik est une communauté formée de « résistants ». Ayant refusés le « statut juridique de réserve », ils vivent donc « illégalement » et très pauvrement dans la Réserve faunique La Vérendrye, sur une terre qu’ils habitent pourtant depuis 6 000 ans. Puisqu’ils n’ont pas de statut officiel, ils ne peuvent pas bénéficier du financement normalement attribué pour les services de base. Le village de Kitcisakik compte plus de 300 personnes.

De septembre à juin, les gens vivent près du Lac Dozois où se trouvent une école primaire, un CPE, un Centre de santé, un dépanneur et 70 maisons dépourvues d’électricité et d’eau courante. Le village est situé tout près du lac Dozois et d’un barrage d’Hydro-Québec pour la rétention des eaux, à 6 km de la route transcanadienne (117) et à quatre heures et demie de Montréal. Durant l’été, une partie de la communauté se rend dans la presqu’île du Grand Victoria qui est le lieu ancestral, accessible seulement par bateau. Au XIXe siècle, les pères oblats ont érigé une petite église (1863) près d’un poste de traite de fourrures. Elle a été rénovée en 1998 et s’est étonnamment bien conservée. À vous de juger!

Genèse d’un appel

C’est est au cours de ma retraite annuelle de 2005 a Loretteville (en face de Wendake) que j’ai ressenti un appel intérieur à m’engager auprès des Autochtones. En lisant par hasard un article de journal sur le désespoir des jeunes de la réserve Opitciwan (Obedjiwan), j’ai été émue jusqu’au fond de mes entrailles et j’ai compris que ma place était auprès d’eux. Par la suite, une série d’événements providentiels ont fait grandir en moi cet appel. En novembre 2006, une émission de télé diffusée à Radio-Canada – Kitcisakik, le dénuement – me fit connaître les conditions de vie « tiers-mondistes » des gens de Kitcisakik, village situé à seulement 175 km d’Amos où je travaillais alors comme responsable diocésaine de la Pastorale Jeunesse.

Le Comité des jeunes de ma communauté m’avait mandatée pour aller explorer la possibilité d’aller organiser des stages avec les jeunes chez les Attikamekw d’Opitciwan à l’été2006. Malheureusement, ce projet a avorté. En septembre, le vent change de bord. Sylvain Bélec, du groupe catholique de Montréal Salut! Terre, écrit à l’évêque d’Amos pour lui demander de l’aide afin d’organiser un séjour chez les Algonquins. L’évêque me refile la demande.

C’est ainsi qu’à l’été 2007, je vis ma première immersion au Grand Lac Victoria. Le succès de ce séjour se propage vite… Quelques mois plus tard, je reçois deux autres demandes. Michel Rondeau du Cégep Saint-Laurent (Montréal) et Nicole Beaudoin, animatrice communautaire de deux écoles secondaires de Granby, m’appellent à leur tour pour organiser des séjours chez les Autochtones. Non seulement, j’ai participé à l’élaboration de ces beaux projets, mais j’ai aussi vécu avec eux la même expérience de conversion. Mes préjugés sont tombés et mon regard a changé en côtoyant des gens si authentiques, simples et attachants. En peu de temps, j’ai tissé des liens très forts avec Monique Papatie, la « mère Teresa algonquine ». Je ne me doutais pas que cette amitié allait me mener si loin…

Deux appels à l’aide

Je reprends le travail au diocèse. Après 13 ans en pastorale Jeunesse, je suis épuisée. Je rêve d’un travail à Kitcisakik, mais j’ignore le chemin pour y arriver. Dieu a son plan.

À l’été 2008, une vague de suicides de jeunes jette la stupeur au sein de la communauté du Lac Simon. Monique Papatie réussit à trouver mes coordonnées et m’appelle pour aller réconforter les aînés. Émue de sa confiance, je me rends pour la deuxième fois au Grand Lac. Nous inventons alors un rituel pour apaiser la souffrance des aînés.

En juin 2009, le curé desservant les deux communautés meurt accidentellement. Monique m’appelle une seconde fois pour aider la communauté du Lac Simon à vivre cette terrible épreuve. Je ne peux refuser et me rend pour la première fois au Lac Simon. En arrivant à l’église, je suis tout à fait étonnée de constater que Monique a réuni tous les aînés pour que j’anime une rencontre. Je fais de mon mieux et le lendemain, les gens me considèrent déjà comme une des leurs. Après les funérailles du père Lajeunesse, l’évêque de Rouyn-Noranda, Mgr Dorylas Moreau, sonde mon intérêt pour une mission possible avec les Algonquins. Je lui fais part de mon grand intérêt, mais l’informe de mon année sabbatique prévue à Sherbrooke, au Centre intercommunautaire Quatre-Saisons.

Discernement

J’ai donc discerné et mûri cet appel durant un an. Je cherchais aussi quelqu’un pour m’accompagner dans cette aventure. Mais personne ne s’est senti interpellé. Il a donc fallu que je dépasse ma peur d’être seule et me résigne à vivre cette mission en solitaire. Cela a été tout un combat intérieur!

C’est en juillet 2010, alors que j’accompagnais le groupe Salut! Terre pour vivre une semaine de catéchèse sacramentelle avec les enfants de la mission Sainte-Clothilde (Kitcisakik) que Mgr Moreau m’interpelle sérieusement. Je dis mon oui qui sera approuvé par les autorités de ma communauté religieuse. Je m’abandonne à la Providence pour combler mes besoins matériels, spirituels et affectifs. Après ces six ans, je peux témoigner que Dieu est bien fidèle. Combien de petits miracles m’ont confirmé sa présence agissante. Avec le psalmiste, je proclame : « Un pauvre a crié; Dieu entend! » (Psaume 34)

Mes débuts comme missionnaire officielle

En septembre 2010, je peux compter sur le dernier père oblat, le père Eugène Lapointe comme mentor pour débuter ma vie missionnaire. C’est un saint missionnaire retraité après de nombreuses années en Afrique qui a décidé de reprendre le collier pour accompagner la communauté en deuil de son prêtre. Il a 78 ans et donnera deux ans de sa vie pour les Algonquins.

Comme il paraissait trop dangereux à une femme d’habiter seule au Lac Simon, j’habitais un petit appartement à Val-d’Or et je faisais chaque jour le trajet de 35 km pour me rendre au Lac Simon et de 90 km pour me rendre à Kitcisakik. Mais en connaissant les gens, la peur a disparu et j’ai commencé à habiter le presbytère du Lac Simon. Aujourd’hui, je vis seule sans crainte, car je me sens aimée et respectée de tous.

La famille de Monique Papatie m’a tout de suite adoptée et pris en charge pour me faire connaître la culture amérindienne : canot, pêche, cabane à sucre traditionnelle, motoneige, collets à lièvre, etc. Il n’y a que la chasse que je n’ai pas encore vécue. Je suis même allée vivre trois jours dans un campement familial pour « trapper » le castor à 150 km dans la forêt. J’ai goûté aux mets traditionnels : orignal, castor, doré, lièvre, perdrix et bannik. J’ai bien essayé d’apprendre la langue, mais sans succès! Je me suis aussi inscrite à l’UQÀT pour une formation en études autochtones.

À suivre dans le prochain billet.

Article tiré de la revue En son nom, vol. 74 no 2, mars-avril 2016.

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  1. Même si Anishnabek est un terme générique, les gens de Lac Simon et de Kitcisakik préfèrent cette appellation à celle d’Algonquin.

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