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Missionnaire au pays des Anishnabek

Deux événements pour la reconnaissance de la dignité des autochtones

L’expression Idle no more est intraduisible en français. Elle signifie : « Fini l’apathie! »  Ce mouvement a vu le jour en octobre dernier, à l’instigation de quatre femmes de la Saskatchewan au moment du dépôt du projet de loi omnibus C-45 par le gouvernement fédéral. Ce projet de loi modifie tout un éventail de lois et de règlements, entre autres, des modifications à la Loi sur les Indiens et à la Loi sur la protection des eaux navigables. Aucune nation autochtone (pas plus que les autres citoyens) n’a été consultée pour ces changements qui touchent pourtant à leur quotidien. Une fois de plus, les autochtones sont traités comme s’ils étaient des citoyens inférieurs. Mais cette fois, la goutte a fait déverser le vase. En janvier, diverses manifestations ont eu lieu dans toutes les régions du pays. Au lac Simon, on a d’abord érigé un campement indien près de la route transcanadienne 117 pour se rendre visible au grand public. Deux familles vivent en permanence dans des tentes malgré le froid. On a aussi organisé une manifestation pacifique le 24 janvier. Le campement restera là jusqu’au printemps et d’autres manifestations sont au programme. Je me suis joint à cette manifestation pacifique. J’ai pu constater que ce mouvement n’est pas près de s’éteindre. Je crois que c’est le début d’une longue marche qui les mènera vers la redécouverte de leur identité et de la reconnaissance de leur dignité.

Mise sur pied à la suite de la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens de 2007, cette commission vise à informer les Canadiens sur l’histoire de ces pensionnats. « Elle souhaite guider et inspirer un processus de réconciliation et de nouvelles relations fondées sur la compréhension et le respect mutuels. » Le 5 et 6 février dernier, la commission s’est arrêtée à Val d’Or pour recevoir les témoignages des survivants du Pensionnat de Saint-Marc (près d’Amos). L’objectif principal de ces pensionnats était d’assimiler complètement les « Indiens », véritable génocide culturel. A la demande de l’évêque, j’ai assisté à ces deux jours de thérapie collective.

Le 5 février

Malgré ma grande crainte, la journée s’est bien passée. Je croyais revenir fourbue de la longue journée d’écoute. La commissaire a dit au début : « Il n’y a pas de place pour la honte ici. » Je l’ai pris pour moi aussi, la tigozikwe (blanche). J’étais assise entre deux anges protectrices Bella et Mani, deux ex-pensionnaires qui font partie du comité de pastorale. Avant que ça commence, Monique Papatie est venue m’avertir de ne pas prendre cela personnel… Quelle délicatesse! Le monde à l’envers. Les victimes qui protègent le bourreau.

Même si les témoignages ont été très difficiles à entendre, ils ne comportaient aucune violence contre le clergé ou les sœurs, juste de la souffrance pure… et à la fin un peu d’espoir parce que les témoignages se terminaient presque tous par une sorte de fierté d’avoir pu traverser l’horreur.

Tous ont été marqués par le premier jour de leur entrée au pensionnat. Jour où ils se sont faits déracinés de leur famille sans rien savoir, ni comprendre ce qui leur arrivait. À 5, 6 ou 7 ans, c’est un choc terrible de se retrouver 10 mois avec des étrangers qui ne parlent pas leurs langues. Certains sont partis en avion, d’autres en taxis, d’autres en autobus devant des parents impuissants, menacés d’aller en prison s’ils ne laissaient pas partir leurs enfants. Des villages entiers ont donc été vidés de leur jeunesse pendant des années. De plus, ce fut une véritable omerta. Impossible de comprendre pourquoi les enfants n’ont pas raconté ce qui se passait à leurs parents et pourquoi ils sont retournés de 3 à 10 ans de suite dans ce goulag. Le nom de « survivants » donnés aux pensionnaires me paraît très juste. Tous ont sombré dans l’alcoolisme au sortir du pensionnat mais la plupart sont maintenant sobres. J’ai côtoyé des martyres, et ce fut une grâce de rencontrer des personnes d’une telle qualité. Le climat d’écoute avait quelque chose de guérisseur et de pacifiant.

Le 6 février

La journée débute par le témoignage de Kokom Suzanne âgée de 98 ans. Elle n’a pas connu le pensionnat mais s’est fait enlever ses enfants. Lors du décès de son mari, elle n’a pu obtenir la permission d’avertir les enfants… Cependant sa plus grande souffrance est de ne pouvoir communiquer avec ses petits-enfants qui ne parlent plus l’algonquin. Monique Papatie a par la suite livré son témoignage. Elle m’a demandé d’être assise à ses côtés afin de signifier le pardon qu’elle voulait donner aux sœurs qui l’ont vraiment humiliée. Je ne vous raconte pas les détails, c’est trop écœurant! Ce fut très intense d’être à ses côtés et en même temps une très grande grâce. Kitci migwetc, mon Dieu comme ils disent…

Le 11 février : J’écris un mot dans le journal de la pastorale

« Ce carême 2013 sera tout spécial à cause de ce que vous venez de vivre avec la Commission de la vérité et de la réconciliation. En entendant vos témoignages sur votre vécu au pensionnat et des suites malheureuses dans vos familles, j’ai communié à votre douleur et j’ai pleuré avec vous. Tout comme Jésus en croix, vous avez eu la grâce de pardonner à vos bourreaux. Je suis une témoin privilégiée de ce pardon quotidien parce que vous acceptez que je vive dans votre communauté, moi une « tigozikwe » et une sœur en plus. Et pourtant, si je peux vivre heureuse parmi vous, c’est parce que je me sens aimée. C’est un grand cadeau que vous me faites et je vous en remercie infiniment (Kitci kitci migwetc!) Sachez que je vous aime beaucoup et que je suis en admiration devant les personnes de cœur, si simples et si vraies que vous êtes.

Geste de guérison dans la nuit de Pâques

Dans la nuit de Pâques, l’abbé Gordiny Verrier bénira l’eau de Pâques qui servira aux célébrations de l’année. J’invite spécialement toutes les victimes du pensionnat à venir participer à cette eucharistie en apportant une cruche eau, symbole de vos larmes, pour qu’elles soient bénies et transformées en grâces pour vos familles. Il me semble que ce geste simple pourra continuer le travail de guérison et de réconciliation que nous vivons ensemble. Kitci Migwetc! »

Mino apitcipaniken!

Joyeuses Pâques!

Renelle, missionnaire choyée par la Vie

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