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Mois missionnaire : une perspective de Kuujjuaq (2)

Octobre. Mois axé sur la mission. Pour l’occasion, Marilyne Roy, jeune mère de famille missionnaire à Kuujjuaq depuis 2017, nous livre une réflexion percutante en trois temps sur cet appel à renouer avec le dynamisme missionnaire adressé à toute communauté chrétienne et à tout croyant. Deuxième de trois textes : au rendez-vous de l’écoute.

Il y a près d’un mois, tout le Québec était bouleversé par le décès tragique de Joyce Echaquan, cette femme atikamekw de 37 ans et mère de 7 enfants. Son appel à l’aide, lancé par le biais d’une vidéo enregistrée sur son cellulaire depuis sa chambre d’hôpital, nous a tous interpellés. Grâce à son courage, elle a permis d’exposer au regard de tous ce qui était tapi dans le point aveugle de notre société québécoise : la discrimination et le racisme systémique à l’égard des peuples autochtones.

Aujourd’hui, je nous pose à chacun la question : près d’un mois plus tard, alors que ce drame n’a plus une aussi grande couverture médiatique, alors que l’intensité émotive qu’il avait suscitée commence à se décharger, comment cet appel à l’aide de Joyce continue-t-il de faire son chemin en moi? Dans ma famille? Dans ma communauté? Dans notre société?

Avec le temps qui passe, l’épreuve de l’écoute commence.

Laisserons-nous cet événement dramatique n’être qu’un fait divers dans une colonne de journal, ou deviendra-t-il réellement en nous un événement, au sens de ce qui fait irruption dans la vie, la bouleversant, la renversant et la transformant de manière durable? Le drame de Joyce Echaquan doit marquer un tournant dans notre histoire collective. Il doit y avoir un avant et un après. Il doit entraîner de véritables mouvements de « révolution des cœurs et des mentalités1 ». Pour que cela arrive, chacun de nous a son rôle à jouer : chacun de nous est appelé à collaborer.

Nous le savons, le piège de l’oubli est devant nous, grand ouvert, prêt à se refermer sur nos élans de solidarité pour nous immobiliser dans l’apparente normalité de nos vies.

Heureusement, des voix autochtones s’unissent et deviennent gardiennes de la mémoire de Joyce, et de toutes les autres victimes du racisme systémique au Québec : « Nous ne permettrons pas que son histoire tombe dans l’oubli2. » Devenant des remparts face à l’oubli collectif, elles recueillent et gardent vivant le souffle de leur sœur. Par amour pour les générations futures, dans la foi en un avenir meilleur, elles continuent de nous convier au rendez-vous de l’écoute.

Par-dessus tout, ces voix qui s’unissent nous parlent d’un moment à saisir, où quelque chose de neuf advient dans notre collectivité, qui ravive l’espoir de voir émerger plus de justice, de paix, d’unité. Elles partagent avec nous leur vision d’une nouvelle aurore se levant doucement dans notre histoire commune, celle où, « enfin! », « commence à s’ouvrir les oreilles pour entendre… » :

Mais je pense que pour nous, c’est un moment très, très important, où on sent une bouffée d’air, d’écoute des citoyens, des Québécois. Enfin! Au-delà d’écouter, qui vont commencer à ouvrir les oreilles pour entendre ces histoires-là qu’on essaie de dire depuis bien trop longtemps2.

Cette parole d’Elisapie Isaac, recueillie en pleine marche lors du rassemblement « Justice pour Joyce » à Montréal, le 3 octobre dernier, laisse poindre les lueurs de ce jour nouveau. En peu de mots, elle révèle avec une limpidité remarquable le lieu vital où nous sommes attendus depuis (bien trop) longtemps par les peuples autochtones : « l’au-delà de l’écoute », où il est question de laisser leurs récits trouver leur chemin jusqu’à nos entrailles pour y devenir une parole éveillant notre humanité et nous appelant personnellement à nous mettre en marche, avec eux.

Ces voix qui s’unissent nous invitent à saisir ce moment favorable où une brèche s’ouvre dans les oreilles et le cœur. Elles sont une main tendue nous conviant à revenir au lieu d’origine de la rencontre où les alliances renaissent du souffle circulant dans le partage de la parole et de l’écoute.

Surtout, elles s’adressent à nous parce qu’elles continuent d’espérer en notre sens de l’humanité et de la justice. Parce qu’elles osent encore croire que nous saurons les écouter. Les écouter vraiment et inventer avec elles un avenir meilleur.

Un moment favorable

Dans une perspective chrétienne, je crois que nous pouvons reconnaître aujourd’hui un moment favorable, un kairos à saisir. Pour le dire autrement, je crois que nous recevons une véritable grâce collective, laquelle surgit en ouvrant des espaces neufs pour le souffle et la parole, appelant ainsi à la création d’alliances nouvelles entre les peuples autochtones et allochtones au Québec.

« Ne laissons pas sans effet cette grâce reçue de Dieu4. » Laissons-la poursuivre son œuvre en nous. Collaborons avec elle.

Ainsi, à l’image de ceux qui furent « piqués droit au cœur5 » par la parole de Pierre le jour de la Pentecôte, nous nous tournerons vers les peuples autochtones et dirons : et maintenant, « que ferons-nous, humains-frères?6 »

Puissions-nous nous laisser envoyer par le souffle traversant leur parole et partir sur les chemins de l’écoute.

Une terre de fraternité nous y attend, où ruissellent la justice pour tous, et la paix.

Kuujjuaq, le 23 octobre 2020

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1. « C’est une révolution de nos cœurs et de nos mentalités que cela prend, et c’est uniquement grâce au mouvement que nous amorçons aujourd’hui […] que la classe politique n’aura d’autre choix que de se ranger derrière nous. » (Ghislain Picard, chef de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador, lors du rassemblement « Justice pour Joyce », tenu à Montréal le 3 octobre dernier)

2. Parmi ces voix autochtones, soulignons le groupe des 37 femmes autochtones ayant signé une lettre ouverte adressée au premier ministre François Legault, le 10 octobre dernier. [https://ici.radio-canada.ca/espaces-autochtones/1740270/premieres-nations-premier-ministre-joyce-echaquan-lettre]

3. Entrevue de la chanteuse inuite Elisapie Isaac à RDI, publiée sur la page Facebook d’ICI Musique, le 5 octobre 2020 à 17 h.

4. 2 Co 6, 1.

5. Ac 2, 37 (traduction d’Osty et Trinquet).

6. Ac 2, 37 (traduction d’Osty et Trinquet).

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Marilyne Roy est titulaire d’une maîtrise en théologie de l’Université Laval.  Elle a aussi une formation en accompagnement spirituel du Centre de spiritualité Manrèse, où elle a d’ailleurs travaillé de 2013 à 2017. En 2017, avec sa jeune famille et son conjoint Jonathan, elle a quitté Québec pour s’installer dans le village inuit de Kuujjuaq, au Nunavik. Depuis, elle y exerce le rôle de coordonnatrice de la Mission catholique Notre-Dame-de-Fatima.  Elle est la mère de trois jeunes enfants : Alexis, Nicolas et Olivier.

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1 Commentaire

  • Alphonse Rheault
    Publié 23 octobre 2020 à 22 h 33 min

    Merci de ces deux beaux témoignages(J’inclus la video du P. Ali que je n’avais pas vue avant) qui stimule mon intérêt, ma proximité et ma charité de même que ma prière pour les autochtones et ceux qui leur viennent en aide…..à suivre

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