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Une Abénaquise se raconte… (partie 2)

Le vendredi 17 avril dernier avait lieu à Saint-Janvier une soirée-bénéfice au profit de Mission chez nous organisée par le comité diocésain de pastorale missionnaire du diocèse de Saint-Jérôme. À cette occasion, Mme Nicole O’Bomsawin, historienne, anthropologue, muséologue, professeure et conteuse, avait été invitée à donner une conférence sur l’histoire de sa nation et des autochtones au Québec. Aussi, en toute primeur, et en raison d’une partie par semaine pendant un mois, nous diffuserons donc, sur notre blogue, son témoignage unique et fascinant…

Deuxième partie de quatre.

Le choc des cultures

On a cessé bien sûr d’être semi-nomades à l’arrivée des colons anglais. Pour nous, ça été une catastrophe, je vous dirais… une catastrophe pour tout le monde abénaquis parce que les Anglais sont venus coloniser, s’installer, tandis que les Français, eux autres, ils venaient commercer. Donc, ça c’était bien, parce que, nous, on commerçait, on échangeait, on accueillait de nouvelles choses et les Français s’en allaient plus loin et allaient commercer ailleurs. Ce n’était pas du tout la même façon d’entrer en relation. Alors que pour ce qui est des Anglais, ils s’installaient et nous défendaient ensuite de passer sur le territoire qui était rendu le leur. Donc, il y a eu un choc. Je ne vous conterai pas toute l’histoire, toutes les batailles, ce n’est pas intéressant. Ce qui est intéressant de savoir c’est que, par la suite, nous autres sommes devenus les alliés des Français. On avait déjà des amis, on avait des Algonquiiens, on avait des Innus – qu’on appelait dans l’histoire des Montagnais – qui était alliés avec les Français. Donc, nous, on a pu devenir amis, nous aussi, avec des Français. On a dit : nos amis sont alliés avec les Français… nous aussi, on veut être amis avec les Français! Parce qu’on veut avoir des fusils! Parce qu’on veut avoir des couvertures! Parce qu’on veut avoir tout ce que les autres ont! Nous autres aussi,. on en veut ça! Puis, on veut des fusils pour se défendre contre les Anglais, là! Parce que les Iroquois, eux autres, obtenaient des fusils par les Anglais et des Hollandais! Nous autres, on n’en avait pas! On était entre les deux. Donc, on voulait avoir ça! Mais, il y avait des conditions pour avoir accès à ça, pour devenir alliés! Ce n’est pas juste! Il fallait que les Français sachent comment on pouvait être utiles. Déjà, les Hurons faisaient commerce avec eux, et aussi les Algonquins! Donc, pourquoi deviendrait-on amis avec les Abénaquis? Alors, c’était donc avant qu’on obtienne l’alliance.

C’est grâce à Champlain, en fait. Champlain a dit : « C’est sur que les Abénaquis peuvent nous être utiles parce qu’ils connaissent les routes du Sud! Ils connaissent les Iroquois et la manière qu’ils ont de se battre. Ils peuvent nous aider à développer le territoire plus au Sud. Et en plus, ils cultivent. Donc, ils vont pouvoir nourrir les militaires. On devenait donc utiles pour eux. Mais, comme je disais, il y avait des conditions. Alors, voic les conditions pour être amis avec les Français : d’abord, il fallait qu’on arrête d’être nomades, qu’on reste près d’eux. Première condition. Deuxième condition? C’est que tous les hommes et les garçons en âge de se battre puissent se battre aux côtés des Français. La troisième condition : il fallait être baptisés! Parce que, pour les Français, c’était important Les Anglais demandaient pas ça aux Iroquois. Mais pour les Français, c’était important qu’on soit baptisés, qu’on soit chrétiens pour être des alliés. Et donc, on a dit : « Nous autres, oui, on accepte de nous faire baptiser. On savait pas ce que c’était! Oui, oui, on va avoir des fusils! Parce que pour nous autres, le baptême, au départ, c’était la tradition orale de la place, c’était un rituel pour avoir des armes!

Vous voyez qu’on était pas tout à fait… Mais bon, c’était comme ça. On n’a pas hésité, on a dit oui. On était prêts à devenir des alliés. Donc, on s’est tous fait baptiser, à la file indienne, les uns après les autres! On s’est fait baptiser pour avoir accès aux choses, pour devenir amis. À ce moment-là, déjà, notre habillement a commencé à changer. Parce qu’il fallait distinguer les alliés de ceux qui ne l’étaient pas. On avait un habillement qui comprenait souvent des tissus noirs, qui étaient réservés pour les missionnaires. Alors nous, on avait soit la jupe noire, soit d’autres éléments qui faisaient que, quand des gens nous voyaient, ils savaient qu’on était des alliés! Donc, à partir de 1650, on a commencé à changer notre façon de se vêtir. C’est sûr qu’on gardait les mocassins, on gardait certaines choses traditionnelles, mais il y avait quand même une façon de nous identifier pour être sûr qu’on était des alliés. Donc, on est devenu chrétiens comme ça. On ne savait pas ce que c’était, au fond. Je vous dis ça parce que vous êtes des gens de mission. Je vous dirais qu’au départ, les gens s’arrêtaient là, mais un moment donné, les missionnaires se sont mis à leur parler de la « parole », d’un tas d’autres affaires, puis de Satan… à leur faire peur un peu. On s’est parlés… on faisait quand même partie de ce monde-là… Puis, on nous a parlé aussi de l’histoire de la création : la Genèse! D’Adam et Ève, des premiers parents, tout ça. On trouvait ça super intéressant! Parce que, nous autres aussi, on avait une histoire de création.

Toutes les nations ont leur propre histoire de création

Conf freneOn écoutait tout ça attentivement, puis on s’est dit, nous autres aussi, on veut raconter la nôtre… mais la nôtre, ce n’était pas la vraie! Eux autres avaient la vraie. Pourtant, nous autres, on disait : «Ah! C’est comme ça que les Français ont été créés!» Pour nous autres, comme ce sont les Français qui nous avaient fait connaître cette histoire, on pensait que c’était l’histoire de leur création à eux! Bien sur, il y a Adam, puis Ève qui a été tirée de sa côte, et tout ça… C’était une belle histoire, mais nous autres, on a été créés dans des frênes! Les Abénaquis, quand ils sont venus au monde – je vous raconte pas l’histoire de la création parce qu’elle prendrait sept semaines à vous conter, je vous raconte seulement la fin! –, ils ont été sculptés dans des frênes! Sculptés dans des frênes, de beaux frênes! L’homme et la femme ont été sculptés dans des frênes. Ils sont sortis du frêne, j’imagine que vous voyez l’image… Ils sortent du frêne, ils déposent leurs pieds pour la première fois sur la terre-mère et là, ils se mettent à chanter [exécution d’un chant en abénaquis], un chant qu’on chante encore aujourd’hui. Un chant dont on dit qu’il vient de la création. Du tout début, quand les Abénaquis ont posé leurs pieds sur la terre-mère. Donc, voilà notre histoire… Il y avait beaucoup d’autres choses, mais on racontait cette histoire-là, on la trouvait belle aussi! Alors, les missionnaires rétorquait : ce n’est pas la vraie histoire, la vraie, c’est celle d’Adam et Ève! Pour tout le monde!

On ne posait pas trop de questions. Des fois, quand on posait trop de questions, ils nous disaient que c’étaient des mystères! Et quand ils nous disaient que c’étaient des mystères, on ne voulait pas les gêner parce que, nous autres, on n’a pas des mystères, on explique tout… Alors, on s’est dit que si c’était des mystères, c’est parce qu’ils n’étaient pas capables d’expliquer ce qui en était! Alors, on ne va pas les embarrasser! Il y avait d’autres choses aussi… avec Dieu le Père, le Fils et l’Esprit. Ça, ça nous a posé un problème. Le Père? Ça peut aller! Le Fils? Ça peut aller aussi! L’Esprit? Pas de problème avec lui! Mais la mère? S’il y un Fils et un Père, il y a une mère! Alors… la mère? Ah! la mère, c’est Marie! Mais Marie, c’était juste une femme. Nous autres, juste, on comprenait pas ça. Juste une femme! On comprenait pas ça parce que, pour nous autres, il y a une femme, il y a un homme. Il n’y a pas «  juste une femme »! Donc, beaucoup ont adopté Marie comme Mère-Dieu. Ça s’est transformé par la suite. Longtemps, on a prié Marie comme Mère-Dieu. Marie, c’est notre mère, c’est la Mère-Dieu. Pour nous, c’était ça! Ça faisait partie de la Trinité, Père, Mère, Fils! Alors, l’Esprit, pour nous autres, était partout! Ok? Alors, on a dû intégrer certaines choses dans notre culture pour comprendre et accepter cette nouvelle façon de faire.

À suivre.

À NE PAS MANQUER!
La semaine prochaine
(partie 3 de 4) :

L’assimilation
et

La transmission de l’héritage

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