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Pour Flora, mais surtout pour nous

Image en bandeau : Affiche de la série Pour toi Flora | Photo : Radio-Canada

Ma sœur m’en avait parlé. Généralement, c’est moi qui parle des affaires autochtones dans les rencontres de famille. Mais cette fois-là, c’est elle qui m’a dit qu’elle avait visionné la série Pour toi Flora. Elle me la recommandait chaudement.

Qu’avais-je encore à apprendre que je ne saurais pas sur la situation des pensionnats, de leurs séquelles, de la résilience après les désastres personnels et sociaux de ce génocide culturel? J’avais quand même décidé d’enregistrer les émissions, en me disant que peut-être, un jour, je finirais par les regarder.

J’ai tenté d’intéresser ma conjointe. Elle aussi a beaucoup entendu mes réflexions sur la situation. Elle a supporté que je discute, parfois avec ardeur, avec sa mère âgée qui vit avec nous et qui ne comprend pas toujours la difficulté de pardonner. Mais regarder une telle série, c’était comme si je lui demandais d’avoir mal « par exprès », d’avoir honte aussi. Elle a refusé.

Je me suis donc mis au visionnement de la série tard le soir, quand tout le monde était au lit.

Un récit « entre eux »

Dès le départ, ma première impression a comporté des réserves. On ne nous offre pas la meilleure interprétation possible. Les acteurs et les actrices, y compris les enfants, font de beaux efforts pour se rendre crédibles, mais ce n’est pas pour la qualité du jeu que je suis resté à l’écoute. C’est plutôt parce que les faits racontés concernent des autochtones vivant sur « notre » territoire québécois. Et que c’est la première fois qu’on se fait conter par eux leur histoire. Pas celles des autochtones de l’Ouest ou d’ailleurs, mais « les nôtres ».

Après la dernière scène, un happy end comme on les aime, il me reste un goût étrange. C’est comme si cette histoire ne s’adressait pas vraiment à nous. Je l’ai vécue comme si des autochtones se la racontaient entre eux, pour eux-mêmes. Et qu’ils entrouvraient la porte pour nous permettre d’en être témoins.

L’effet produit est d’autant plus dérangeant. Le narrateur principal, Rémi, un Anicinabé vivant en Abitibi, partage ses réflexions en s’adressant à sa sœur Flora, éloignée de lui depuis de longues années de cassure psychologique reliée à leurs années passées dans un pensionnat indien. Rémi se sent toujours responsable de sa petite sœur, même à leur âge avancé, mais celle-ci a pris un chemin différent, effacée dans un monde de Blancs, vivant avec un mari et des enfants qu’elle a maintenus complètement à l’écart de ses origines et de son enfance.

Rémi lui relate les situations vécues au pensionnat. Il nous donne accès à ses pensées, à ses interprétations et, surtout, à ses questions sans réponses du fait de l’éloignement de sa sœur. Il consigne toutes ces réflexions dans un manuscrit qu’il destine à une éditrice. Mais ses intentions ne sont pas de le voir un jour publié. Il s’agit bien plutôt d’une démarche personnelle. Il souhaite reconstruire ses liens familiaux, mais rencontre encore de nombreuses embûches, y compris de la part de sa propre descendance.

À la limite, Pour toi Flora me semble une proposition honnête dont je ne suis même pas certain qu’elle ferait consensus parmi les Premiers Peuples eux-mêmes. Cette histoire pourrait davantage diviser, tellement il peut y avoir de positions divergentes à l’égard des pensionnats indiens, de l’Église, de la réhabilitation de la spiritualité traditionnelle, des conséquences sur les familles, etc.

À travers eux, une série pour nous

En réalité, ce que j’ai vécu en affrontant cette histoire, c’est en fin de compte d’avoir été incapable de me détacher de ces personnages, de Rémi, de Flora, des autres petits, même lorsqu’ils nous apparaissent à d’autres moments de leur vie, et de leur évolution intérieure. Ils finissent par ne plus être des acteurs et des actrices à nos yeux, mais de vraies personnes.

Malgré la fin un peu rapide, voire simpliste, je suis demeuré imprégné par l’histoire racontée, et je me suis dit, finalement, que cette série est une merveilleuse tentative de toucher réellement les Blancs que nous sommes, sans avoir à nous heurter directement. Nous sommes ces personnes à qui l’on a caché cette histoire, qui n’ont pas su ce qui en était vraiment. Nous la découvrons peu à peu, comme si on retirait une couche après l’autre de pansements qui laissent peu à peu entrevoir une cicatrice encore brûlante.

Pour finir, moi qui suis assez prétentieux pour croire en savoir un bout sur « leur » histoire, je prends encore plus conscience qu’elle ne peut pas ne pas être aussi « notre » histoire. Un enfant arraché à sa famille naturelle, pris en charge par des « étrangers » sur un territoire qui n’est plus celui de ses ancêtres, afin de le rendre pareil à eux, ça ne peut pas ne pas nous atteindre, nous qui avons si profondément ancré en nous le sens de la famille.

Enfin, j’ai surtout le sentiment d’avoir été mis en présence d’un récit autochtone, d’une prise de parole – une prise de pouvoir – sur leur traumatisme et dont ils nous font cadeau. Nous les voyons s’ouvrir peu à peu à leur propre valeur, en cherchant la même chose que nous tous : une vie heureuse, réconciliée, embrassant d’abord et avant tout leur propre famille et ce qui fait de chaque personne ce qu’elle est.

« Nous » aurons donc échoué à en faire autre chose que ce qu’ils ou elles sont. Et c’est tant mieux, car aujourd’hui, ce sont ces peuples qui nous enseignent toutes ces choses qui nous renvoient à notre propre identité et à notre culture, à son tour si fragilisée.

Oui, Pour toi Flora, c’est un message vraiment pour nous, pour vous?

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