Image en bandeau : Herbes sacrées | Photo : Reegan Soosai
Depuis un an et demi, le père Reegan Soosai côtoie avec bonheur les communautés anicinabek de Long Point First Nation et de Timiskaming First Nation. Il nous raconte son expérience avec un regard neuf et passionné. Il nous fait voir les semences de vie qu’il décèle dans ces milieux et témoigne avec authenticité des défis auxquels il se mesure, lui qui se considère comme un médiateur et un « constructeur de ponts ».
Si tu es venu pour m’aider, tu perds ton temps.
Mais si tu es venu parce que ton destin est lié au mien,
alors marchons ensemble.
– Auteur inconnu
Chers amis, Kwe Kakina! Bonjour à toutes et tous! Mon style d’écriture, dans cet article, sera celui du récit et de la narration1, une approche au cœur de la sagesse ancestrale des Premiers Peuples, spécialement de la nation anicinabe, et aussi de ma culture tamoule.
En écrivant cette histoire, je pense à l’année et demie vécue ici que je peux comparer avec la période de même durée que notre ancêtre dans la foi saint Paul a passé, au cours de son deuxième voyage missionnaire, chez les Corinthiens alors qu’il logeait chez Aquila et Priscilla. Il a marché avec les gens, a appris d’eux, leur a prêché la Bonne Nouvelle de l’espérance et du salut en Christ, en a baptisé beaucoup… Il y a écrit sa lettre à la communauté chrétienne de Rome qui traversait de nombreuses persécutions, les encourageant à maintenir vivant le don de la foi. J’ai l’impression, parfois, de vivre un peu ce par quoi il est passé…
Des semences de vie
En réalité, je peux voir beaucoup de semences de vie dans ce milieu, et dans la vision et les rêves de la Long Point First Nation (LPFN) et de la Timiskaming First Nation (TFN), ces deux communautés que j’accompagne depuis 18 mois. Ces semences de vie, je les ai perçues, en particulier, lorsque ce jeune garçon m’a demandé : « Père, dois‐je pardonner à tout prix à mes ennemis? » Ou quand cette conseillère m’a dit : « On m’a enseigné la spiritualité et j’ai reçu le don de la foi par ma mère dans la cuisine et mon père dans le garage. » Ou, encore, quand le chef Henry a dit : « Je considère mon rôle comme un médiateur entre différentes cultures et spiritualités, et quand l’esprit va bien, tout va bien », me permettant alors d’ajouter : « La lettre aux Hébreux enrichirait vos expériences et vous donnera plus d’inspiration, parce que saint Paul y présente Jésus comme un médiateur spirituel. »
Certains se sont réconciliés avec l’Église, d’autres sont toujours fâchés contre elle, et d’autres encore sont indifférents. Mais il se présente nombre d’occasions et de possibilités d’entamer un dialogue mutuel et d’établir des collaborations en marchant ensemble comme des peuples de Dieu voulant protéger la dignité humaine, la diversité culturelle et l’environnement. Au cours de l’année et demie écoulée, j’ai vu les communautés se développer jour après jour grâce à la tenue de nombreuses activités, à la mise en place de nouvelles infrastructures et routes, aux célébrations de différentes journées importantes. J’ai pleuré lorsque j’ai participé à l’Exercice des couvertures2 qui m’a amené à saisir et à sentir comment ces peuples ont été marginalisés, discriminés et exclus par la colonisation.
J’ai souri lorsque quelqu’un m’a demandé si la manière de prêcher avait changé. J’ai demandé pourquoi, et cette personne m’a répondu : « Vous nous demandez d’interagir pendant l’homélie. Vous nous posez des questions et vous cherchez à connaître nos idées et nos pensées. C’est quelque chose de nouveau pour nous. C’est une bonne façon d’entamer un dialogue fructueux sur la parole de Dieu. Nous nous sentons acceptés et appréciés pour ce que nous sommes et ce que nous faisons. » De même, les communautés d’ici sont heureuses que certains de leurs membres aient pu recevoir la confirmation cette année, après une décennie sans célébrer ce sacrement.

Sur le plan personnel, je suis davantage en mesure de partager mes expériences avec les membres de ma communauté religieuse, mes amis et d’autres connaissances, et je vois que ces personnes font preuve d’ouverture en questionnant leurs préjugés, les idées stéréotypées, et en remettant en question les mensonges ou les histoires fausses à propos des peuples autochtones qui circulent dans la société, et même dans nos églises au Québec. D’ailleurs, la visite du Pape a certainement été un moment encourageant, rempli d’espoir, mais, en même temps, j’ai pu constater par moi‐même qu’une fois de plus, en tant qu’Église, nous n’en avons pas fait assez et n’avons pas vraiment réussi à mettre les personnes autochtones à l’avant‐plan. À ce propos, j’ai été particulièrement peiné lorsque j’ai entendu pleurer cette jeune femme autochtone, assise dans le tout dernier banc de la Basilique Sainte‐Anne‐de‐Beaupré à Québec, et dire : « Enfin, le Pape est venu pour qui? » Cela dit, continuons à semer les graines de la vie et de l’espérance en ayant confiance que Dieu, par son Esprit, assure croissance et fécondité.
Des défis multiples
Je me permets ici de vous décrire quelques‐uns de ces défis que je rencontre au sein de mon engagement auprès du peuple anicinabe. Parfois, comme prêtre et religieux œuvrant en milieu autochtone, j’ai l’impression de marcher sur des œufs. La présence pastorale en milieu autochtone est délicate, voire sensible, et en même temps, cette réalité difficile me fait prendre conscience de la charge symbolique de mes paroles et de mon propre processus de pensée. Et m’aide à apprendre la vertu de la patience et de l’humilité et à me dire chaque jour que je ne fais que collaborer à la mission de vie, d’amour et d’espérance de Dieu. Dans ce contexte, comment poursuivre le travail de médiation? Cela me fait énormément de peine de constater qu’il y a encore beaucoup d’indifférence du côté des catholiques non autochtones et que certains sont très opposés aux Premiers Peuples. Même certaines paroisses francophones, qui sont très proches géographiquement des communautés autochtones, n’ont aucune idée des réalités vécues par elles. Il y a beaucoup d’ignorance, mais aussi, tout de même, beaucoup de bonne volonté. Alors, comment faire connaître la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation, les histoires des trop nombreuses filles et femmes autochtones disparues et assassinées, etc.? Écouter les histoires vraies d’enfants autochtones enlevés, volés et vendus pendant la rafle des années 1960 me brise le cœur. Comment raconter ces histoires déchirantes aux non‐autochtones? Comment plaider en faveur des droits des peuples autochtones et les défendre? En ce moment même, alors que vous lisez cette histoire, une société australienne, Sayona Mining, explore la possibilité d’extraire du lithium sur le territoire ancestral non cédé des Anicinabek. La qualité de l’eau, les animaux, les plantes, les arbres du secteur, et même le village, en subiraient les fâcheuses conséquences si les activités minières prévues devaient voir le jour.
Dans ce contexte, je considère mon rôle comme celui d’un constructeur de ponts, d’un artisan de la paix et d’un médiateur entre l’Église et les peuples autochtones. Je remercie les peuples de Long Point First Nation et de Timiskaming First Nation de m’avoir accepté et permis de marcher avec eux sur leurs terres sacrées. Un axiome dit que « c’est en marchant que l’on trace un chemin ». L’histoire d’Emmaüs doit nous inspirer et nous motiver à être des témoins authentiques de l’amour de Dieu au sein de la création et pour les personnes humaines, malgré nos doutes et nos incertitudes. Je reconnais que l’évêque Guy Boulanger m’a beaucoup soutenu et encouragé dans l’accomplissement de ma mission parmi les peuples autochtones et je l’en remercie. De même, je dis merci à ma communauté religieuse, les Clarétains, qui a à cœur le bien‐être des peuples autochtones, ainsi que Mission chez nous pour son soutien à la présence pastorale en milieu autochtone depuis 30 ans.
J’aimerais terminer ce récit par une prière de purification que j’ai créée :
Ô Manitou,
dérange-nous quand nous sommes indifférents.
Ô Manitou,
allume ton feu d’amour dans nos cœurs.
Ô Manitou,
donne-nous une oreille attentive pour écouter sans juger.
Ô Manitou,
purifie nos intentions afin d’apporter la paix.
Ô Manitou,
bénis nos efforts de guérison et d’espoir.
Ô Manitou,
motive-nous à être présents à notre humanité souffrante et blessée avec compassion.
Ô Manitou,
encourage-nous à vivre et à laisser survenir Mino Bimaadiziwin (la Bonne Vie).
Ô Manitou,
aide-nous à vivre les sept enseignements de nos grands-pères3
dans notre vie quotidienne
– Amour, Respect, Courage, Vérité, Honnêteté, Humilité et Sagesse –,
et ce, avec la médiation de Jésus, le Christ cosmique.
Pour la gloire du Dieu créateur et unique. Amen !
Kitchi Meegwetch !

Reegan Soosai, c.m.f, est membre de la congrégation des Fils du Cœur immaculé de Marie (Missionnaires clarétains). Il est originaire de la nation tamoule en Inde et il a fait ses études en Inde et en Espagne. Prêtre missionnaire depuis dix ans, il a jusqu’à présent exercé son ministère principalement à Montréal et à Sherbrooke en tant que vicaire et curé. Il a aussi accompagné des jeunes à titre d’animateur de pastorale vocationnelle et jeunesse. Il a eu aussi l’occasion, à plusieurs reprises, d’aller en mission dans diverses régions du Canada et au Mexique. Il œuvre auprès des Anicinabek depuis 1 an et demi.
1 Commentaire
Irène Brouillette
Magnifique texte, plein d’espoir et de courage. Je pense à vous plus intensément de ce temps-ci. Le 21 juin, je prierai avec une communauté, celle où Dieu m’enverra avec les mots adressés O`Manitou. Merci Père et bonne fête des pères dimanche prochain. Irène