Guerre injuste et atroce en Ukraine, déforestation massive des forêts primaires, découverte de sépultures anonymes près des pensionnats autochtones, etc. La mort paraît puissante. Alors, comment dire et célébrer Pâques aujourd’hui ? Réflexion de Marilyne Roy, responsable de la mission Notre-Dame-de-Fatima à Kuujjuaq.
« Voici que je fais une chose nouvelle.
Elle germe déjà; ne la voyez-vous pas ? » (Isaïe 43, 19)
Je ne sais pas s’il en est parfois de même pour vous…
Pour ma part, devant le mystère de Pâques, et d’une manière particulière cette année, j’ai souvent l’impression de frapper un mur de contradictions, d’être plongée dans un brouillard. Je ne vois plus rien. Je suis projetée dans une lutte avec le paradoxe, me colletaillant avec ce qui, dans la réalité de notre monde, proclame l’injustice, la souffrance et la mort.
Comment dire et célébrer Pâques aujourd’hui…
• sur un fond de guerres injustes, atroces et brutales; celle en Ukraine, comme toutes celles qui demeurent presque invisibles dans nos médias ?
• en reconnaissant les plaies béantes et vives des survivants et survivantes des écoles résidentielles et de leur familles, rouvertes notamment avec les découvertes de sépultures non identifiées ?
• en assistant aux déforestations massives des forêts primaires, au réchauffement climatique alarmant ?
Comment trouver la lumière du matin de Pâques lorsque nous sommes devant une œuvre défigurée par le sang des enfants, des innocents, de la terre ?
* * *
N’avons-nous pas besoin…
• de contempler à nouveau ce Jésus des évangiles, habité d’une vision prophétique, « enceinte » d’un monde à naître. Ce Jésus qui, par ses paroles et ses actions, ouvre sur son passage des brèches dans les humains pour leur donner de voir, en eux aussi, cette terre promise appelée à l’existence.
• de revoir toutes ces personnes, femmes et hommes, qui, ayant vibré à l’écoute de la parole de Jésus, ont décidé de tout quitter pour le suivre, sans trop comprendre leur élan et la portée de leur décision.
N’avons-nous pas besoin…
• de frapper, avec les disciples de Jésus, le mur de la souffrance et de l’absurdité ?
• de rencontrer l’impasse de la mort de Jésus, où tout semble s’effondrer; où les espoirs semblent avoir été vains et trahis ?
• d’éprouver encore, avec eux, chaque seconde de cette longue nuit de silence et d’immobilité.
N’avons-nous pas besoin…
• de suivre ces femmes, amies et disciples de Jésus, s’éveillant, sortant, bougeant.
• de les suivre, elles qui, bien que résignées à la loi de la mort et à son implacable logique, demeurent en mouvement, marchant péniblement dans le chemin étroit ouvert par leur amour, poussées par leur désir de prendre soin de l’être aimé, jusque dans la mort.
N’avons-nous pas besoin de partager le chemin de ces femmes afin de découvrir que la fidélité à l’amour – celle de Jésus « ayant aimé les siens jusqu’au bout », celle des femmes aimant Jésus jusque dans sa mort – ne reste pas sans réponse, abandonnée à elle-même ?
« Le premier jour de la semaine, à la pointe de l’aurore… »
La pierre avait pourtant scellé le tombeau, tel un point marquant la fin de l’histoire.
Elle n’y est plus. L’histoire s’ouvre à un nouveau commencement.
Le matin de Pâques survient en faisant éclater nos représentations réductrices de Dieu, des autres, de nous-mêmes, de la vie.
Il « crée des fissures dans nos récits3, par exemple.
Ou encore, en nous laissant renverser sur notre chemin, comme Paul en route vers Damas, par la démarche « de vérité, de justice, de réconciliation, de guérison » de la Délégation autochtone au Vatican et par une parole d’une survivante : « Nous sommes plus fort maintenant. Ils ne nous ont pas brisé. Nous sommes encore ici et le serons pour toujours. Et ils vont nous aider, travailler avec nous, ce qui pour nous est merveilleux. Pour moi, c’est une victoire4. »
En découvrant avec étonnement un nouvel atlas climatique pancanadien concrétisant « une vision à deux yeux » et intégrant « la sagesse autochtone [comme] ce dont le monde occidental a besoin pour guérir, pour comprendre et pour se remettre à créer un monde plus durable5. »
Nous entrons alors dans la contemplation du mystère actuel du Corps du Christ, crucifié et ressuscité.
Tout à coup, lorsqu’on laisse vibrer ces paroles au plus intime de nos entrailles se découvre à notre regard un monde nouveau déjà en train de naître. Un monde fragile, certes, mais puissant à la fois. Un monde qui, bien qu’au-delà de nous-mêmes, a besoin de chacun et chacune de nous pour croître, grandir, exister.
À Pâques, la création nouvelle est engendrée en nous comme une vision d’espérance qui transforme nos colères, nos échecs et nos peurs en énergies créatrices, afin que nous nous engagions solidairement à sa réalisation concrète dans le déroulement de l’histoire du monde.
Puisse la grâce pascale nous entraîner plus que jamais dans ce chemin de révolution personnelle et collective !

Marilyne Roy est titulaire d’une maîtrise en théologie de l’Université Laval. Elle a aussi une formation en accompagnement spirituel du Centre de spiritualité Manrèse, où elle a d’ailleurs travaillé de 2013 à 2017. En 2017, avec sa jeune famille et son conjoint Jonathan, elle a quitté Québec pour s’installer dans le village inuit de Kuujjuaq, au Nunavik. Depuis, elle y exerce le rôle de coordonnatrice de la mission catholique Notre-Dame-de-Fatima. Elle est la mère de trois jeunes enfants : Alexis, Nicolas et Olivier.
1 Commentaire
Renelle Lasalle
Texte d’une grand profondeur!
Kitci migwetc!