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Revisiter notre histoire comme le font les Premiers Peuples

Image en bandeau : Le cours de l’histoire | Photo : Jason Jeandron/Unsplash

Cherchant un peu quel sujet je pourrais traiter cette fois-ci, on m’a conseillé de partir d’un livre ou d’un reportage sur les Premiers Peuples afin de m’inspirer quelque peu. Étant moins présent aux activités et aux rencontres autochtones depuis quelques mois, je cherchais malgré tout quelque chose de concret à raconter, quelque chose de personnel.

C’est là que je me suis rappelé qu’on m’avait fait deux cadeaux, l’an dernier, à l’occasion de mon départ de l’Institut de formation où je travaillais. La directrice avait eu cette bonne idée de m’offrir un roman de Natacha Kanapé Fontaine, que j’ai lu avec intérêt. Mais le deuxième volume est resté en dormance, même s’il me paraissait plus intrigant. Il s’agit d’un mélange de documents historiques, de témoignages, de bandes dessinées, de dessins et de récits réunis par l’autrice Emanuelle Dufour et intitulé « C’est le Québec qui est né dans mon pays! »

Couverture du livre C'est le Québec qui est né dans mon pays!Je me suis dit alors que c’était le moment de lire cet étrange volume. Alors j’ai plongé. Dès la préface, je me suis senti interpellé. Prudence Hannis y écrit, en pensant à sa propre réticence initiale devant le projet de l’autrice : « Étant moi-même Abénakise, je connaissais déjà ces appréhensions qui caractérisent nos relations avec l’Autre, ce doute persistant sur les intentions « réelles » de l’Autre dans toute démarche de rapprochement entamée par ce dernier. » En lisant cela en tant que « Blanc bienveillant » envers les autochtones, je me suis senti visé du fait que je suis porté à prendre des initiatives de rapprochements culturels pour « faire exister » les autochtones dans nos activités.

Bon, je reconnais m’être efforcé depuis quelques années pour ne plus reproduire cette attitude. Par exemple, en participant moi-même à des activités auxquelles les autochtones nous invitent plutôt que le contraire. Mais j’ai réellement compris quelque chose en lisant une citation placée au début du livre d’Emanuelle Dufour. Elle vient d’un tweet de Jesse Wente, Ojibwe, journaliste et président du Conseil des Arts du Canada. Il écrivait ceci, en 2018 : « Si les artistes canadiens veulent faire des œuvres portant sur les pensionnats autochtones, pourquoi ne pas raconter la partie de l’histoire qui est la vôtre? Ce n’est pas à vous de raconter l’expérience des survivants. Mais il y a une facette de l’histoire que vous devriez explorer en profondeur. » (Traduction : Emanuelle Dufour)

Je pense que l’autrice, en citant Wente, annonce quelque chose de l’ordre d’un renversement de perspectives. Chercheuse et doctorante, elle s’est intéressée dans son passé à un grand nombre de populations autochtones partout ailleurs que dans son pays. Elle s’est rendu compte à un moment de sa vie qu’elle ignorait tout de l’histoire des Premiers Peuples d’ici. Et elle s’est mise à raconter sa quête à partir de son malaise, voire de sa honte.

Je me sens assez en phase avec elle dans cette quête. J’ai même l’impression que sa démarche ressemble à la mienne, à l’exception que je n’ai pas le projet d’en faire une thèse doctorale! Ainsi, tout en évoquant à grands traits les faits marquants de l’histoire vécue par les Premiers Peuples, en citant toujours des autochtones, elle raconte dans ce livre des moments et des prises de conscience vécus par les Québécois à partir de son propre ancrage, son « territoire », une banlieue très blanche de Montréal. Elle prend conscience qu’à côté de notre histoire, il y avait l’histoire des communautés autochtones qui se déroulait, mais sans liens, sans espaces de rencontres et encore moins de conscience de leur existence, si ce n’est de quelques moments.

Pour Emanuelle Dufour, c’est en 1990, avec la Crise d’Oka, que tout semble débloquer, à la fois pour la prise de conscience d’une certaine réalité autochtone par les Québécois que pour l’appropriation par la nation Mohawk de sa capacité à revendiquer ses droits. Depuis, il y a eu de nombreuses révélations, notamment sur les pensionnats autochtones, qui ont fait leur place dans l’actualité. Je pense en particulier à Idle No More qui a suscité un grand mouvement au Québec. Même pour les gens démontrant très peu d’ouverture, il n’est plus possible de faire comme si les réalités autochtones n’existaient pas ou qu’elles n’avaient aucune portée sur l’avenir du Québec. Et puis, n’oublions pas Joyce Echaquan…

Ce livre répond bien à l’invitation de Jesse Wente. C’est davantage en tant qu’artiste qu’Emanuelle Dufour s’exprime dans son livre, même si ses recherches lui fournissent de la matière qui contribue à l’éveil de la conscience. Mais elle revisite son (notre) histoire en y intégrant celle que l’on découvre sur les Premières Nations et les Inuits.

Nous sommes appelés à nous reconnaître en nous écoutant mutuellement raconter nos histoires de vie et celles de nos communautés, comme le font de nouveaux amis qui s’intéressent à la vie de l’autre. C’est en partageant cette connaissance dans nos réseaux que l’ignorance réciproque laissera place à un plus grand sentiment d’unité. Ainsi, peu à peu, les jeunes générations trouveront les chemins de la réconciliation et bâtiront un avenir ensemble.

Le parcours effectué par Emanuelle Dufour peut inspirer la réflexion de tous les « Blancs » qui, comme moi, arrivent à ce moment de l’histoire où nous devons apprendre à cohabiter avec les Premiers Peuples, en prenant conscience que le territoire ne se sépare pas, qu’il ne nous sépare pas! Au contraire, même, il n’existe que pour réunir ceux et celles qui ont pris racine sur son étendue. 

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