« Avancer ensemble sur des chemins de vie. » C’est cette intention qui a teinté l’ensemble des interventions du cardinal Gérald Lacroix lors de la messe du Dimanche des Premières Nations qu’il présidait le 27 juin 2021 à la basilique de Sainte-Anne-de-Beaupré.
La traditionnelle célébration, qui n’a pu se tenir l’an dernier en raison de la pandémie, se déroulait cette année sans le faste habituel. Précédé de son cérémoniaire, l’archevêque de Québec s’est avancé seul lors de la procession d’entrée, masque au visage, saluant l’assemblée avant d’aller prendre place dans le chœur.
Dès les premières années d’existence du sanctuaire de Sainte-Anne-de-Beaupré, au 17e siècle, des Autochtones ont fréquenté le lieu. Habituellement très couru, le Dimanche des Premières Nations devait se limiter à 250 personnes en raison des normes sanitaires en vigueur. Il n’y avait ni les danseurs, ni les costumes traditionnels souvent portés par de nombreux fidèles ce jour-là. La présence autochtone dans la basilique était discrète, participant à l’ambiance introspective qu’a pris la célébration.
« Dieu n’a pas échoué »
« Au cours des dernières semaines nous avons entendu beaucoup de reportages qui ont ouvert à nouveau les blessures d’un passé douloureux, a-t-il d’emblée convenu le cardinal. Nous ne sommes pas ici ce matin pour débattre de ces réalités. D’autres lieux, d’autres moments conviennent davantage pour un dialogue ouvert et franc. »
Il s’est dit « plein d’espérance » devant la rencontre annoncée entre le pape François et des représentants des Premières Nations, des Inuits et des Métis qui doivent se rendre au Vatican avant la fin de l’année. Le cardinal Lacroix s’est dit convaincu que le pape saura « prononcer les bonnes paroles et poser les bons gestes ».
Abordant de nouveau le sujet lors de son homélie, le cardinal a reconnu que les révélations et prises de conscience entourant les tombes non-identifiées sur les sites d’anciens pensionnats autochtones gérés par des communautés catholiques « ont mis en évidence une page très sombre de l’histoire de notre pays ». Des décisions et des comportements, autant par le gouvernement que les Églises, « ont contribué à faire souffrir nos frères et sœurs Autochtones, Inuits et Métis ».
« Dieu n’a pas échoué. C’est nous qui avons échoué » a-t-il tonné. Cependant, a-t-il ajouté, choisir la vie « est à notre portée ».
« Nous ne pouvons pas changer ce triste chapitre de notre histoire, a-t-il poursuivi au sujet des souffrances des peuples autochtones. Nous ne pouvons pas nous permettre de l’oublier. Mais nous devons travailler pour que la réconciliation et la guérison pansent les blessures de ce passé qui n’en finit plus de nous hanter. »
S’adressant à tous les fidèles de l’assemblée, le cardinal Lacroix a rappelé qu’après être arrivé à Sainte-Anne avec ses propres intentions, « notre cœur s’élargit aux besoins du monde et aux besoins des grandes intentions de notre temps ».
S’appuyer sur deux saints
Il a de nouveau pris la parole à la toute fin de la messe pour s’adresser plus particulièrement aux membres des Peuples Premiers qui se trouvaient dans l’église ou qui suivaient la célébration en direct sur Internet.
« Sachez que notre communauté catholique est résolument engagée à poursuivre la route avec vous. À la recherche de la vérité qui libère, en route sur des chemins de réconciliation qui permettent de guérir », a-t-il dit, avant d’évoquer deux saints qui ont eu des contacts privilégiés avec les Autochtones.
Il a rappelé la rencontre entre le pape Jean-Paul II et les Premières Nations le 10 septembre 1984 à Sainte-Anne-de-Beaupré. Le pape polonais avait alors évoqué l’Évangile qui « féconde de l’intérieur » les cultures autochtones.
Le cardinal avait troqué son habituelle crosse épiscopale pour un bâton de marche dans lequel une relique de François de Laval, « un saint, un homme qui avait tellement d’amour pour les Premières Nations », est imbriquée. « Il les a défendues bec et ongles, il les a aimées et elles l’ont aimé. Que nous puissions retrouver ces liens d’amitié et de confiance que nous avons brisés au fil des siècles. Avec la bénédiction de Dieu, c’est possible », a-t-il assuré.
Enjeux spirituels
Dans l’assemblée, deux sœurs innues étaient venues de Sept-Îles pour assister à cet événement annuel. Rose-Aimée et Henriette Vollant se sont dit « vraiment touchées » par la célébration, particulièrement en cette période de prises de conscience dans la société.


« On dirait que les nations innues vont se relever et être plus fortes, a confié Henriette. D’une certaine manière, entre nous, on va être forts. »
Elle fait une lecture nuancée de l’histoire de son peuple. « Je remercie aussi les Blancs, qui nous ont appris à lire et écrire. Aujourd’hui on est capables de se défendre. De défendre nos terres, nos rivières. J’en remercie les Blancs. »
Elle remarque qu’en raison des malheurs vécus par la faute du gouvernement et de certains clercs, plusieurs innus ne veulent plus rien savoir des prêtres.
« Mais ça ne veut pas dire qu’il… » Sa sœur Rose-Aimée a terminé la phrase de sa sœur. « Qu’il faut tous les mettre dans le même panier. » Les deux femmes s’étaient d’ailleurs rendues, la veille, rendre visite à leur ancien curé, un prêtre oblat, à Trois-Rivières.
Selon le père rédemptoriste Mario Doyle, coordonnateur régional de la province rédemptoriste du Canada, le Dimanche des Premières Nations existe justement pour s’attarder aux enjeux spirituels.
« C’est l’occasion – alors que se jouent des joutes politiques et sociales – d’avoir un caractère spirituel qui permet l’intégration. À travers les soubresauts de l’histoire, garder un lien comme nous le faisons au sanctuaire peut être aidant pour faire la vérité, pour trouver des chemins de réconciliation et pour voir comment on avance encore », a-t-il fait valoir.
Tant les Blancs que les Autochtones chrétiens s’activent à « chercher les chemins du possible ». « Et Sainte-Anne est un lieu du possible », a-t-il assuré.
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Philippe Vaillancourt est le rédacteur en chef de l’agence de presse Présence – information religieuse. Il a également collaboré à quelques ouvrages collectifs, dont Demain l’Église. Lettres aux catholiques qui veulent espérer, publié chez Novalis.