Le vendredi 17 avril dernier avait lieu à Saint-Janvier une soirée-bénéfice au profit de Mission chez nous organisée par le comité diocésain de pastorale missionnaire du diocèse de Saint-Jérôme. À cette occasion, Mme Nicole O’Bomsawin, historienne, anthropologue, muséologue, professeure et conteuse, avait été invitée à donner une conférence sur l’histoire de sa nation et des autochtones au Québec. Aussi, en toute primeur, et en raison d’une partie par semaine pendant un mois, nous diffuserons donc, sur notre blogue, son témoignage unique et fascinant…
Troisième partie de quatre.
L’assimilation
Par la suite, les missionnaires qui sont venus chez nous étaient des missionnaires jésuites. Ceux-ci devaient parler la langue des gens pour arriver à évangéliser, puis à comprendre. Et… donc ces gens-là ont appris notre langue et c’est grâce à eux aujourd’hui qu’on est capables d’apprendre notre langue. Je m’explique : à travers les années, notre langue s’est perdue, on a fait comme beaucoup d’autochtones… par contre, on a eu la chance de pas avoir les écoles résidentielles, les pensionnats, là où on a pris des enfants pour les envoyer se faire éduquer…Quelques familles ont vécu ça à Odanak, mais très peu! Nous autres, nous avons eu l’école à Odanak même. Ce sont les Sœurs grises de la Croix d’Ottawa qui étaient chez nous. Et c’est elles qui ont instruit les enfants abénaquis, mais c’était les mêmes… – comment je dirais-ça, donc? – les mêmes directives qui venaient d’Ottawa. Il fallait qu’on fasse disparaitre la culture! Il fallait qu’on nous montre la culture chrétienne et il ne fallait pas qu’on parle notre langue! Il ne fallait pas qu’on la parle!
Alors, le seul traumatisme qu’on n’a pas eu, c’est celui d’être séparés de nos familles! Mais cette même éducation, on l’a eue, on l’a vécue! Pour nous, de notre génération, la langue, on l’aurait perdue! Mon grand-père parlait la langue, mais mes parents ne la parlaient plus. Quand mes grands-parents ont commencé à fréquenter l’école, ils se sont fait dire que la langue, c’était la langue des démons! Donc, si c’est la langue des démons, on ne veut pas la parler, et surtout, on ne veut pas la transmettre à ses enfants. On savait que si les gens parlaient leur langue, c’était plus difficile pour eux de s’intégrer à l’école. Donc, on veut apprendre le français tout de suite! Ma grand-mère était la treizième de la famille et, elle, tout de suite en venant au monde, ses frères plus vieux et ses sœurs lui ont montré à parler français. Donc, déjà, ma grand-mère ne parlait plus l’abénaquis. Mon grand-père parlait l’abénaquis, mais elle, elle ne voulait pas que ses enfants… En fait, elle ne pouvait pas montrer l’abénaquis à ses enfants, donc ses enfants, dont ma mère, n’ont jamais appris à parler abénaquis. Mon père était de la même génération. Donc, rendu à ma génération, il n’y a plus beaucoup de gens qui parlent l’abénaquis!
La transmission de l’héritage
Moi, j’ai eu la chance de vivre un peu ma culture parce que j’ai été adoptée par mes grands-parents. Adoptée, façon de parler… adoptée à la façon indienne. L’aîné de la famille est donné aux grands-parents. Alors, moi j’ai été… quand je dis « donnée », des fois ça choque, les gens disent que tu ne peux pas donner un enfant comme ça, mais je trouve que ce n’est pas connaître le mot « don ». Le don, c’est ce qui a de plus beau! Hein? Quand on parle du Christ qui a fait don de sa vie, c’est quelque chose de merveilleux, un don. Alors moi, je suis le don de ma mère à mes grands-parents. Je trouve ça beau, le don. Donc, j’ai eu la chance de vivre avec mes grands-parents, avec mon grand-père qui m’a raconté l’histoire de la création, puis cette histoire-là que je vous raconte… C’est lui qui a partagé avec moi beaucoup de sa culture, parce que lui il a raconté son histoire, il parlait la langue abénaquise, il parlait français… l’anglais aussi… des fois, il disait même qu’il parlait espagnol, mais… il y a beaucoup, beaucoup d’humour – comme la plupart de ceux qui ont côtoyé les Autochtones le savent – il y a beaucoup d’humour chez les Autochtones, peu importe les difficultés qu’ils ont eu à affronter. L’humour est très important. Donc, moi j’ai été élevée dans cette mouvance-là! Mon grand-père m’a appris les prières, parce que, même si, à l’époque, et rendu à son âge, il ne pouvait pas parler abénaquis… Il ne pouvait pas me parler en abénaquis, parce ma grand-mère ne comprenait pas! Il disait : «Tu sais bien quelle comprend pas!» C’est elle qui ne comprenait pas!
J’ai compris ça plus tard. Si mon grand-père m’avait parlé en abénaquis, j’aurais pu parler à mon tour! Ça, je trouve ça triste! Aujourd’hui, je sais quelques mots, mais je ne parle pas ma langue! Mais j’ai appris à prier dans ma langue, j’ai appris à chanter dans ma langue, parce que mon grand-père, il chantait. Et il chantait à l’église : mon grand-père était maître-chantre. Donc, pour ma part, j’ai été presque élevée à l’église. Comme je suivais mes grands-parents, ils m’ont appris plein de chants. Il y avait des messes! Et comme mon grand-père était maître-chantre, et ma grand-mère organiste, on assistait parfois à trois messes de file, dans le temps. Ce qui fait qu’on était là tout le temps. Moi j’étais là tout le temps. Je suis allée à l’église, je trouvais ça beau, il y avait de la belle musique. C’est probablement ce qui a animé le cœur des premiers autochtones qui se sont convertis. En lisant des textes que les missionnaires ont écrits, j’ai compris certaines choses, c’est-à-dire comment les gens aimaient les cérémonies!
Le faste de l’église de cette époque-là. Le faste, les fêtes, le décor. Dans toutes les églises, c’était décoré. Notre église changeait de couleur selon le temps liturgique. Donc, c’était beau… Les chants, les décorations, tout ça faisait que les Autochtones se retrouvaient… ça les liait entre eux, ça les liaient aussi à leur spiritualité! Le fait de chanter, peut-être pas de danser dans l’église, ce n’était pas permis, de chanter, d’avoir du visuel, c’était quelque chose de vivant! C’est quelque chose qui a attiré les Autochtones dans les premières missions, puis qui a continué par la suite. Je vais vous faire, pas le Notre-Père, c’est un peu long, mais le signe de croix en abénaquis parce que c’est la première chose que j’ai apprise avant de faire ma première communion. J’ai appris à faire le signe de la croix ainsi :
[Énoncé des paroles du signe de la croix + applaudissement]
À suivre.
À NE PAS MANQUER!
La semaine prochaine
(partie 4 de 4) :
La survie à Odanak,
L’éducation
et
La communauté d’aujourd’hui