Le vendredi 17 avril dernier avait lieu à Saint-Janvier une soirée-bénéfice au profit de Mission chez nous organisée par le comité diocésain de pastorale missionnaire du diocèse de Saint-Jérôme. À cette occasion, Mme Nicole O’Bomsawin, historienne, anthropologue, muséologue, professeure et conteuse, avait été invitée à donner une conférence sur l’histoire de sa nation et des autochtones au Québec. Aussi, en toute primeur, et en raison d’une partie par semaine pendant un mois, nous diffuserons donc, sur notre blogue, son témoignage unique et fascinant…
Dernière partie de quatre.
La survie à Odanak
Je sais que, en fait à cause aussi des histoires reliées à l’école résidentielle, il y a beaucoup de souffrances, beaucoup de douleur. Des gens portent ça de façon très dure dans leur cœur encore aujourd’hui… On a besoin de beaucoup de réconciliation.
Pour notre part, on n’a pas vécu ça de cette façon-là. Je vous dirais que, chez nous, les missionnaires ont été plutôt appréciés. On a apprécié leurs contacts. On a même eu un missionnaire chez nous à partir du moment où Odanak est devenu le village ou la mission, parce l’endroit où est situé notre communauté s’appelle Odanak s’appelait la « Mission Saint-François ». Comme pour beaucoup de Missions Saint-François des jésuites – peut-être qu’il y a des Missions Saint-François partout… – ce n’est pas facile de se retrouver lorsqu’on fait de l’histoire… Mais la Mission St-François, c’était aussi chez nous. Le missionnaire qui était là, c’était le père Aubery. Le père Aubery a été chez nous pendant cinquante ans. Quand il est décédé, les gens disaient qu’il était devenu un Abénaquis. Même publiquement, il était devenu Abénaquis.
Celui-ci publiait des manuscrits sur la langue : un manuscrit français et abénaquis, puis un autre abénaquis et français… Deux manuscrits qu’on a encore au musée à Odanak… On les a conservé et c’est à partir de ces textes, puis d’autres documents par la suite, qu’on a pu être capables de conserver la langue maintenant. Parce qu’on en avait perdu beaucoup! Il s’agit de la langue parlée en 1700! On peut donc retourner à cette période-là! Après, on a eu les religieuses, les Sœurs grises de la Croix. C’est curieux parce que les Sœurs grises de la Croix était à St-François-du-lac, de l’autre côté de la rivière. Un moment donné, il y avait pas de… comment je pourrais dire… il n’y avait pas de pension à l’époque. Il fallait se débrouiller, donc des gens fabriquaient des paniers pendant tout l’hiver, toute la famille, et les enfants faisaient leur part. Ensuite, au printemps, on chargeait les paniers les uns après les autres, puis on partait pour aller vendre ces paniers-là à différents endroits aux États-Unis. Soit au Maine, au Massachussetts ou au Vermont. Ou encore, dans Charlevoix! Parce qu’à cet endroit, il y avait des Américains qui étaient là en villégiature! Ils achetaient des paniers, car ils avaient de l’argent.
On allait vendre les paniers dans différents endroits, puis on passait par la Beauce pour vendre ces paniers-là, et puis pour vendre des plantes médicinales. Alors, on faisait notre chemin et, à l’automne, on revenait… Ça c’était à l’époque de mon grand-père. Il a fait ça jusqu’à ce qu’il se marie. C’est peut-être pour ça qu’il s’est marié tard, à 29 ans. À l’époque, on se mariait plus jeune, mais lui, il s’est marié à 29 ans parce qu’il allait vendre des paniers. Il avait 11 ans quand il a commencé. Pis quand il était de retour, sa paie c’était de manger. Pendant l’été, là-bas, il était nourri et logé, et quand il revenait à l’automne, il avait une paire de souliers neufs.
C’était sa paye pour avoir travailler tout l’été à vendre des paniers. Mes parents aussi ont fait des paniers. Ma mère a fait de la teinture de paniers, mes parents faisaient encore des paniers pour arriver à boucler le budget, puis arriver à faire vivre et nourrir la famille. Mais mes parents ne voyageait plus aux États-Unis; ils vendaient leurs paniers à d’autres qui y allaient… Mon père est allé aussi cueillir le foin d’odeur dans les îles de Montréal, dans le coin des îles de Boucherville… lIl s’installait là pendant l’été au mois de juillet, puis il allait chercher du foin, le foin d’odeur! Il nous sert pour les paniers et pour les cérémonies aussi! Donc, mon père a fait ça, la cueillette du foin d’odeur! Les Abénaquis ont survécu grâce à la fabrication des paniers.
L’éducation
Mes parents?… Mes grands-parents étaient allés à l’école… un peu. C’est comme ça que ma grand-mère est devenu organiste parce qu’elle avait appris la musique au contact des religieuses. Ma mère, qui est allée au couvent, et mon père aussi, ils ont appris la musique parce que à ce moment, il y avait du théâtre, de la musique, toutes sortes de choses intéressantes… Dans le temps, c’était ça! Donc, ma mère est devenue organiste à son tour. Ma mère a joué à Saint-François-du-lac, et non chez nous, parce qu’il y avait déjà des organistes chez nous. Mon père, lui, chantait de l’opéra! C’est curieux, tu sais, parce qu’un Autochtone devrait chanter sa culture… non, il chantait de l’opéra! Il avait appris avec les religieuses. Il avait une voix de ténor. Bref, chez nous, il y avait beaucoup beaucoup de musique.
Mais ça, c’était la part des religieuses qui étaient chez nous… Elles ont été sur place jusqu’en 1959. Certains relatent l’histoire que la règle était plus sévère que pour d’autres. Il y a toutes sortes d’histoires : une tirait les oreilles, etc., mais il y avait des religieuses qui ont été beaucoup beaucoup aimées dans la communauté, et qui sont restées là longtemps. Je vous dirais qu’au départ, elles avaient même peur d’appeler chez nous, les premières fois. Elles étaient à Saint-François–du-lac, de l’autre côté de la rivière… Ce qui est arrivé, c’est qu’en vendant les paniers, à un moment donné, des gens sont restés plus longtemps aux États-Unis, pendant une année ou deux, mais quand ils sont revenus… Ils étaient anglicans! Parce qu’ils avaient été à l’école là-bas, ils avaient appris la religion anglicane. Ils sont revenus à Odanak avec la religion anglicane et en parlant anglais. Donc, a été fondée, à Odanak, une mission anglican depuis 1862. Les religieuses ont donc traversé la rivière, parce qu’il y avait des anglicans qui faisaient l’école et enseignaient dans la langue abénaquise. Certains ont dit qu’une école, ça ne se fait pas comme ça. Il y a des sœurs juste de l’autre bord; on va aller les chercher en canot, en traversant la rivière, et elles vont venir enseigner aux Abénaquis.
La première année, une petite maison a été mise à notre disposition pour faire une école… Ils étaient environ soixante-dix enfants là-dedans, bien trop de monde. Donc, ils ont été obligé de bâtir une école en brique, à partir de 1900, pour recevoir les Abénaquis qui voulaient aller à l’école. Elle est devenue le musée, aujourd’hui. Mes parents sont allés à cette école-là. Ils y ont appris la musique, à lire et à écrire. Ils ont fait une neuvième année. Mon père est né en 1911 et ma mère en 1917. À l’époque, les gens qui se rendaient aussi loin dans l’éducation étaient rares… Nous autres, on a eu cette chance. Si j’ai plusieurs diplômes aujourd’hui, ce n’est pas par hasard! C’est parce que mes parents ont eu cette éducation-là et ont trouvé que c’était important. Eux autres, ils ont fait autre chose, et ils ont dit : « Nos enfants, il ne faut pas qu’ils fassent de paniers! » Moi, j’ai jamais appris à faire des paniers. Je sais comment ça se fait. Je peux vous en parler, je connais toutes les étapes, mais… je n’en fait pas! Moi, je ne fais rien avec mes mains, je sais juste parler! Mes parents ont dit : « Nous autres, on a eu de la misère… Il faut que nos enfants puissent s’éduquer, aller à l’école, travailler puis s’investir. C’est ce qui a fait qu’aujourd’hui, je suis ici… On était soutenus dans notre éducation parce que mes parents étaient allés à l’école aussi. C’est parce qu’on a pu avoir une éducation chez nous, et non pas dans les écoles résidentielles, qu’on a pas eu de traumatismes.
La communauté d’aujourd’hui
Ça fait toute une différence. Il y a encore un missionnaire chez nous : il s’appelle Pierre Houle. On a encore un missionnaire, puis on le dit avec fierté qu’il est notre missionnaire. Il dit souvent : « Je suis curé de Pierreville, curé de St-François, mais je suis missionnaire des Abénaquis. » Et on tient à ça! On tient à garder… on tient à garder son titre de missionnaire! C’est important pour nous, ça fait un lien avec notre histoire. On en est bien contents, et en plus chanceux, parce qu’il réside dans la communauté. Odanak, c’est une petite communauté qui regroupe quelque 350 Abénaquis. En fait, on retrouve 500 personnes qui vivent dans la communauté. Il y a une petite communauté anglicane… ils sont à peu près 25 à survivre. Ils ne sont pas nombreux. Pis nous autres, catholiques, on n’est pas nombreux non plus parce que c’est comme partout, la pratique diminue… Les gens ne pratiquent plus, ce sont les plus vieux qui vont encore à l’église, très souvent. Mais quand il y a des fêtes, ça, on est présent. On aime ça fêter nous autres, surtout s’il y a un bon repas! Non! Non! Mais blague à part, on aime bien ça fêter, nous! Il y a, bien sûr, la fête de Noël… On aime bien avoir une messe de minuit. Je sais que dans quelques villages, il y a des crèches vivantes… Nous autres, on avait une crèche vivante aussi, et mon grand-père était berger. Il y a toujours eu une crèche vivante à Odanak, depuis que mon grand-père était enfant. On tient à ça, ça fait partie de la tradition. Puis, aujourd’hui, c’est au tour des petits enfants de faire les bergers dans la crèche. La tradition se continue!
Enfin, bien sûr, il y a le pow-wow à Odanak, comme dans d’autres communauté.. Le pow-wow est là pour faire en sorte que des gens viennent nous rencontrer. Souvent, les gens nous disent : « Est-ce qu’on peut aller dans les pow-wow? » Est-ce privé, cette affaire-là?» Non, ce n’est pas privé! Si c’était privé, on ne l’annoncerait pas! On ferait ça en privé, puis on vous le dirait même pas! Alors, si on vous dit qu’il y a un pow-wow, c’est que ce c’est ouvert à tout le monde! Le mot pow-wow signifie « rassemblement des nations »! C’est ça que ça veut dire! Donc, c’est ouvert à tout le monde. Bien sûr, il y a un côté qui s’adresse davantage aux Autochtones et un autre plus commercial, car les gens font de l’artisanat et vendent leurs produits, mais le pow-wow demeure une fête ouverte à tous et toutes.
Fin de la conférence.
Un grand merci à Mme Nicole O’Bomsawin
d’avoir généreusement accepté de donner cette conférence
et de nous avoir autorisés à la publier ici.